Mettons à
part la réminiscence d’un âge du cuivre ou du laiton, appelé orichalque et
facile à travailler. ainsi que l’erreur de Christophe Colomb, qui croyait débarquer aux Indes et espérait, sur la foi du livre de Marco Polo, y trouver des cités de l’or, -les
pagodes au toit doré de Birmanie en
réalité. Le mot El Dorado, d’origine
espagnole, apparaît en français en 1579
sous la plume de Benzoni : dorado,
doré , puis en 1640 sous celle de Laet (eldorado,
le doré). En 1759, Voltaire le
popularise dans Candide où il désigne
une utopie. Le mot a ensuite cédé la
place au socialisme utopique, aux lendemains qui chantent, enfin aux énergies
renouvelables.
Il y a
deux hypothèses pour expliquer son origine : l’hypothèse sud-américaine et
l’hypothèse des îles du Roi Salomon dans le Pacifique.
1)
L’Amérique du sud
On
invoque la coutume des Indiens Chibcha en Colombie : leur chef, fils du Soleil,
couvert de poudre d’or à son intronisation, descendait dans l’eau du lac Guatavita, pour symboliser le coucher
du soleil, tandis que ses sujets y lançaient des objets dorés représentant la
barque solaire dorée destinée à l’aider
à « remonter » hors de l’eau pour éclairer les mortels. Selon
Orellana, l’Eldorado se situerait entre l’Orénoque et l’Amazone, près du lac
immense de Pariné (décrit par Carvajal, mais ce lac n’existe pas : c’est
l’amplification du lac Guatavita), avec la cité de l’or Manoa , laquelle
n’existe pas non plus. L’américain Heckenberger a, en 1993, actualisé ces
rumeurs en utilisant la photographie aérienne dans le cours supérieur du Rio
Xingu (Etat du Mato Grosso au Brésil) et en repérant 19 islas dans une plaine, distantes de 32 kilomètres, reliées par un
réseau de « routes – digues », en raison des inondations de la saison
des pluies. Ce peuple serait celui des
Xinguano et ses descendants actuels seraient les Kouikourous.
2) L‘Eldorado était en réalité
situé pour les Espagnols aux îles du roi
Salomon , en contact avec l’Afrique noire.
Les
Austronésiens d’Asie étaient allés jusqu’en Amérique du Sud et avaient fondé des colonies prospères en
Terre de Feu et en Patagonie. Celles-ci reproduisaient peut-être les
pagodes dorées de Birmanie, mais l’ « or » qui éblouit tant les
découvreurs espagnols était en réalité
un alliage de zinc et de cuivre.
Or,
la première expédition inca, avant celle de l’Incas Tupac Yupanqui à Mangareva aux îles Gambier (Polynésie française) entre 1471 et
1493, avait rapporté à Cusco « des
prisonniers à face noire, une grande quantité d’or et d’argent, un trône en laiton ou en cuivre, une peau et des
mandibules d’un animal semblable à un cheval ».
L’animal
dont la mandibule et la peau ressemblaient à ceux d’un cheval était en réalité une
chèvre introduite par les Espagnols. Dans Histoire
de la découverte des régions australes de Pedro Fernandez de Quiros, p.
285, on peut lire : « Les chaloupes partirent aussitôt avec, à
leur bord, un bouquet (jeune bouc), une
chèvre qu’on laissait aux Indiens (les Mélanésiens de Santo au Vanuatu) pour qu’ils fassent souche. Les nôtres
remirent le bouc et la chèvre aux Indiens, qui les examinèrent avec attention
et en échangeant force commentaires à mi –voix [ces animaux sont pour eux des
dieux]… (A leur retour, les nôtres) ne virent que le bouc et la chèvre qu’on
avait attachés… ». A Taumako, op. cit.
p.240, « un jour, les Indiens
virent les nôtres en train de manger des morceaux de viande, et demandèrent
timidement [ils craignaient que ce ne fût de la chair humaine] quelle viande
c’était : pour le leur faire comprendre, on leur montra un bout de cuir
avec ses poils, et, dès qu’ils le virent, l’un d’eux se mit les mains sur la tête et fit d’autres
signes fort clairs, pour nous faire comprendre que, sur ces grandes terres, il
y avait des vaches ou des buffles [ou des chèvres]. P. 218, op. cit., « (Aux Touamotou,
la vieille Indienne) regarda les chèvres comme si elle en avait déjà vu
d’autres. » A noter que les « Indiens » de ces régions de Polynésie,
nous dit-on, travaillaient or ( ?)
et argent et en fabriquent boucles
d’oreille et lames de couteau.
Le trésor
des Polynésiens de Mangareva ,
visitée par l’ Incas Tupac Yupangui, venait, selon les insulaires, des îles Hagua
chumbi et Nina chumbi qu’on a souvent cherché à identifier sans certitude ; selon moi, chumbi désigne les Espagnols (les îles où les blancs sont
venus),les îles Taumako et Vanikoro aux Salomons .
Caillot , cité par Rivet, nous apprend que les Mangaréviens
« seraient même allés en Amérique, à Taikoko
et à Ragiriri, qui, si l’on en croit
les indigènes actuels des îles Gambier,seraient la mer avoisinant le cap Horn
et le détroit de Le Maire ou peut-être
celui de Magellan . » Mais il est bien plus probable que les Polynésiens
soient allés ailleurs, jusqu’à Santa Cruz près des îles Salomon ,
et que Taikoko soit Taumako tandis que Ragiriri serait cette île que nous appelons aujourd’hui Vanikoro , aux Salomons , anciennement Malikolo de Makiliiri (métathèse),
altéré par les Polynésiens en Ninna , de
Nani)+ Chumbi : on y rencontrait , selon Pedro Fernandez de
Quiros, dans Histoire de la découverte
des régions australes, des extrémités de casse-tête composées d’un gros
morceau imitant l’or, de la chalcopyrite
appelée artimonia par les
indigènes, Comme aux Philippines, sur
l’île de Cobos (côte nord de l’île de Samar) , op. cit. , p. 147, les indigènes, au XVe siècle, portaient aux oreilles de grands anneaux ressemblant à de l’or et aux
chevilles des bracelets de laiton doré qui, note Quiros, ont trompé
quelques-uns de nos hommes (qui ont cru qu’il s’agissait d’or). Et, op. cit. p.243 : « ils fabriquent (ces
boules d’artimonia) sur place (à Taumako), pour les fixer à l’extrémité de
leurs bâtons et s’en servent ainsi de casse-tête. »
En février 1568, l’Espagnol Mendana, parti du
Pérou, avait débarqué à Santa Isabel et
recueilli à Malaita quelques objets en pseudo -or. Il avait exploré les parages durant six mois sans
trouver d’or, avant de quitter, déçu, l’archipel des Salomon.
La rumeur de l’existence d’un Eldorado découvert
par les Espagnols, même si le lieu en était gardé secret, concernait les îles
Salomon (de là leur nom : les richesses du roi Salomon sont connues)
et aussi tant les Philippines que Santa Cruz, où migraient
des Africains ; de là les esclaves à peu noire rapportés par l’Inca lors de leur première
expédition de découverte, expédition que, au XVe siècle, Tupac Yupangui voulut
rééditer sans y arriver. Des migrations en provenance d’Afrique noire sont
arrivées aux Salomon et certains noirs sont retournés en Afrique, fait peu
connu.
Sur le plan linguistique, le mot
signifiant blanc,blancs espagnols , -les premiers qu’ils aient vus,-par suite esprit,
fantôme, être suprême, dérivé par
métathèse de hispanioli ,Espagnols de
l’expédition de Mendana au XVIe siècle, se retrouve, non seulement aux Salomons à Vanikoro où il s’agit des rescapés de
l’expédition Lapérouse ( Ambi, Ngambé , etc.
, voir mon blog sur Lapérouse), mais dans toute
l’Afrique du sud , à l’ouest , chez les Bantous en particulier : voir
note de Frazer, p.709, volume 2 du Rameau
d’or, collection Bouquins, Atys et
Osiris). Chez les tribus du Loango, du Congo, de l’Angola et du Bengouela, l’esprit
se dit Ambi, Njambi, Zambi, Nsambi, Ngambé, Njane, O- njame, tandis que dans le Cameroun c’est Nzambi, etc. Dans John H. Weeks, Among
Congo Cannibals, London, 1913, p.246 sqq., on peut lire :” Sur le
Bas-Congo, on l’appelle Nzambi, ou,
par son titre le plus complet, Nzambi a
mpungu. ; on n’a encore pas
trouvé de racine satisfaisante pour Nzambi
[et pour cause !]…Sur le Haut-Congo, chez le peuple Bobangi, le mot
qui désigne l’Etre suprême est Nyambé ;
chez les Lulangas, Nzakomba ;
chez les Bolokis, Njambé ; chez
les Bopotos, Libanza… Il est
intéressant de noter que le nom le plus
commun pour Etre suprême [entendez blanc, esprit] sur le Congo est aussi connu, sous une forme ou sous une autre, sur une vaste surface de l’Afrique, depuis le 6 e degré au nord de
l’équateur jusqu’à l’extrême sud de l’Afrique ; par exemple, chez les
Ashantis, c’est Onyame, au Gabon,
c’est Anyambie, et, à 3000 kilomètres
de là , chez les Barotses, c’est Niambé…
Ils jugent aussi que l’Etre suprême (Nzambi)
est trop bon et trop bienveillant pour qu’il soit nécessaire de l’apaiser par
des rites, des cérémonies ou des sacrifices. » De nombreux mots du
pacifique en dérivent : en Nouvelle-Calédonie apopaleï, popalé,
tahitien popaa,puré (porcelaine )
blanche et homosexuel blanc, plus
injurieux que l’abréviation avec redoublement diminutif rhérhé (voir mon blog sur Lapérouse). Le mot zombi, mort-vivant, utilisé en Afrique et aux Antilles,en dérive
aussi ,même s’il a pu subir l’attraction sémantique de la racine ibère dheugh, façonner de la cire ou de
l’argile (latin figura, grec teichos rempart) qu’on retrouve dans
l’une des trois langues de Sicile, la langue ibère, dans les idylles de
Théocrite, 2,110, sous la forme dagus,
génitif dagudos, poupée en cire pour
la magie et qu’on retrouve en Papouasie (douk-douk,
sorcier masqué) , en Nouvelle-Calédonie (doghi,
statuette maléfique, sorcier) et en Amérique du sud (doghi, sorcier). L’arabe toubab,
donnant le français toubib, vient plutôt de l’anglais doctor, donnant takata.
En
témoignent également les découvertes africaines, faites en 1938, à Ifé : treize têtes de métal (dont un
masque) faites justement d’un alliage de cuivre et de zinc, de laiton. Ces têtes
ont été coulées à cire perdue et,
n’ayant que quelques millimètres d’épaisseur, elles révèlent une grande
maîtrise. Toujours en Afrique noire, on
a encore trouvé une tête de gazelle faite d’un curieux
alliage, qui utilisait la même technique
qu’aux
Salomon. Les Espagnols eurent la déception de s’apercevoir que leur Eldorado
n’était pas de l’or massif, mais seulement de la chalcopyrite mêlée à du cuivre. La
métallurgie insulaire et africaine était fort avancée, mais elle a vite
disparu.
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