lundi 22 décembre 2014

Le masque de fer

L’opposition à Louis XIV, ou Voltaire avait- il raison à propos de l'Homme au Masque de Fer?

C'est Voltaire qui a créé le mythe du Masque de Fer en 1751 dans Le Siècle de Louis XIV et, comme la question avait piqué sa curiosité, il continua à s'interroger toute sa vie à ce sujet : dans le Dictionnaire philosophique, à l'article Anecdotes, en 1764, il discute diverses hypothèses sur son identité, enfin dans ses Questions sur l'Encyclopédie, 2e édition (1771), il révèle qu'il s'agissait, non d'un jumeau, mais d'un frère aîné de Louis XIV qui était le fils de la reine Anne d'Autriche (espagnole malgré son nom), l’épouse de Louis XIII, et du duc George Villiers de Buckingham , fils légitime en quelque sorte (is est pater quem nuptiae denuntiant) né en 1626 , ce qui expliquait à la fois sa ressemblance criante avec Louis XIV et le danger d'une contestation de la légitimité de ce dernier en vertu du droit d'aînesse et en vertu du fait qu'il était né dans les liens du mariage, -surtout si l'on pouvait de surcroît accuser Louis XIV de ne pas être le fils de Louis XIII, mais de quelqu'un de beaucoup plus basse extraction que le duc de Buckingham. L ‘assassinat de Buckingham par Felton devrait beaucoup à Louis XIV, a fait observer Dufet de l’Yonne, entendons qu’il a été inspiré par lui.
De qui Voltaire, sous le sceau du secret, tenait-il ses informations? De Madame de Saint-Quentin, la maîtresse du marquis de Barbezieux, fils de Louvois, qui avait succédé à son père comme Ministre de la Guerre, l'un des derniers à connaître le secret puisqu'il gérait le sort du prisonnier. En 1782, le marquis de Luchet, dans le Journal des Gens du monde (tome IV, n°23, page 282 et suiv.) “fit honneur à Buckingham de la paternité en litige. Il cita en témoignage une demoiselle de Saint-Quentin, ancienne maîtresse du ministre Barbezieux, morte à Chartres vers le milieu du dix-huitième siècle : selon elle, Louis XIV avait condamné son frère aîné à une détention perpétuelle, et la parfaite ressemblance des deux frères avait nécessité l’intervention d’un masque pour le prisonnier” .
Selon le bibliophile Jacob, la première œuvre, anonyme, en 1745, à parler du prisonnier, les Mémoires de Perse, serait de Voltaire qui s’était engagé auprès de son informatrice à ne jamais parler du Masque et qui s’est ainsi donné un prétexte pour pouvoir ensuite en parler sous sa signature, la chose étant dès lors révélée.
Soulignons qu'aujourd'hui encore ce texte de Voltaire est censuré, par exemple dans les Oeuvres historiques de Voltaire publiées par René Pomeau dans la Pléiade, p. 1714, on lit le mensonge par omission :"Voltaire a noté dans ses Notebooks (p. 124) que le mystérieux prisonnier était "soupçonné d'être un frère aîné de Louis XIV", sans la mention de Buckingham, son père.
En 1790, Charpentier, président d'une commission révolutionnaire des- tinée à inventorier les archives reprend la même tradition dans La Bastille Dévoilée avant que la piste politiquement correcte de Mattioli ne devienne la vérité officielle.
La Reine a-t-elle eu des rapports féconds avec cet homme qu'elle aimait?Le cardinal de Retz nous répond dans ses Mémoires : Madame de Chevreuse avait confié à son ami le Cardinal à propos de la reine "que le seul homme qu'elle avait aimé avec passion avait été le duc de Buckingham; qu'elle lui avait donné rendez-vous, une nuit, dans le petit jardin du Louvre ; que Mme de Chevreuse, qui était seule avec elle, s'étant un peu éloignée, elle entendit du bruit comme de deux personnes qui se blutaient [le texte porte se lutter par méconnaissance du vieux mot bluter, remuer le tamis, donner la saccade, qu'on trouve chez Rabelais au sens de faire l'amour]; que s'étant rapprochée de la Reine, elle la trouva fort émue, et M. de Buckingham à genoux devant elle; que la Reine, qui s'était contentée, ce soir, de lui dire, en remontant dans son appartement, que tous les hommes étaient brutaux et insolents, lui avait commandé, le lendemain au matin, de demander à M. de Buckingham s’il était bien assuré qu'elle ne fût pas en danger d'être grosse ".Mais Buckingham n’était pas homme à prendre de telles précautions. A côté de ces indiscrétions rapportées par le Cardinal, mettons les paroles du Régent qui déclara que c'était un fils d'Anne d'Autriche.
Mais quels sont les textes que Voltaire a pu connaître?
D'abord, celui de René, Auguste, Constantin de Renneville dans L'inquisition française, ou l'histoire de la Bastille, par Mr. C. de R., Amsterdam-Leyde, 1724, 4 vol., avec un Supplément à l'histoire de l'inquisition française, 438 p. Il fut prisonnier à la Bastille de 1702 à 1713, et y occupait une pièce juste sous celle du Masque de fer avec qui il tenta de communiquer en frappant au plafond : il apprit de lui qu'il était un "abbé italien", mais celui-ci refusa de lui dire son nom (p. 122, édition 1715, références données par Monsignor A. S. Barnes, The man of the mask, 1908).Selon nous, il s'agit bien du pseudo -abbé Pregiani, avatar napolitain de Jacques Stuart de La Cloche du Bourg de Jersais : donc du Masque de fer.
La Princesse palatine, belle- sœur de Louis XIV, nous parle de lui dès 1711 en disant qu'il communiait masqué, qu'il était très dévot et lisait continuellement, et elle ajoute plus tard n'avoir rien pu apprendre à son sujet, sinon qu'il s'agissait d’ « un milord anglais qui avait été mêlé à l'affaire du duc de Berwick contre le roi Guillaume. ".
Le milord anglais fait allusion aussi à l’abbé Pregiani. . Quant au duc de Berwick, c’était un fils naturel de Jacques II vivant à l'époque où la Palatine écrivit ces mots. Ce peut être une allusion au fait que l’abbé Pregiani se soit présent é comme un fils naturel de Jacques II également. Mais cette princesse trop curieuse a pu confondre Berwick et Warwick. Pour savoir quelles analogies existaient entre le Masque de fer et Warwick , interrogeons un ouvrage de Esprit Joseph Chaudon (1776), Les imposteurs démasqués et les usurpateurs punis ou histoire de plusieurs aventuriers qui, ayant pris la qualité d'Empereur, de Roi, de prince ... ont fini leur vie dans l'obscurité. Il s'inspire pour l'Angleterre du Père Pierre Joseph d'Orléans et de son Histoire des révolutions d'Angleterre, 1689.
Il s'agit du faux Edouard Plantagenet, duc de Warwick (p.314 et suivantes), en réalité Lambert Sinnel, que son tuteur, le prêtre Richard Simondi, dressa à imiter parfaitement le maintien du vrai duc qu'il n'avait pourtant jamais vu.
Sans entrer dans le détail de la révolution qu'il suscita pour prendre le trône vers 1486,disons que son mentor et lui-même furent finalement vaincus et que le roi vainqueur , Henri VII (et non Guillaume III), "ne voulut point leur ôter la vie pour les faire servir plus longtemps d'exemple; le prêtre fut confiné dans une prison inconnue, où il passa le reste de ses jours , et le jeune homme dans une cuisine du palais, où, par un jeu bizarre de la fortune, après avoir assez bien fait un personnage pour lequel il n'était pas né, il s'acquitta de celui qui était qui était conforme à sa naissance. On l'en tira quelque temps après pour le faire fauconnier, et ce fut là que se terminèrent sa royauté et ses honneurs. On dit qu'Henri se donna un jour le plaisir méchant de faire servir des députés irlandais [qui avaient pris parti pour lui lors de ses complots], dans un repas qu'il leur donnait, par ce roi imaginaire. Il punit peut- être mieux par ce trait, dit le Père d'Orléans, la vanité de l'un et la crédulité des autres, que par un châtiment éclatant".
On songe au Masque de fer devenu le valet de Fouquet qui avait certainement connu le secret de son existence et dont Louis XIV avait redouté qu'il ne prenne son parti. Comme le dit M. de Chamillart, l'homme Masqué (Voltaire, Réponse à La Beaumelle) "connaissait tous les secrets de M. Fouquet", entendons le secret de sa disgrâce s'il avait vraiment voulu soutenir ses prétentions un jour. Rappelons son imprudente devise: Quo non ascendam? que Louis XIV se fit traduire : Jusqu'où ne monterai-je pas? avec pour justification le sens de son patronyme, fouquet signifiant écureuil. Fouquet savait tout, avant même son incarcération , de l'existence de cet héritier de la couronne et c'est peut-être l'une des causes, la plus profonde en tout cas, de sa condamnation dont Louis XIV souhaitait qu'elle soit la mort et qu'il aggrava par un acte personnel. Les papiers dont le ministre déplorera auprès de son geôlier Saint- Mars qu'il les ait laissé prendre à son fils après sa mort auraient pu contenir des indications sur l'identité de notre prisonnier.
Autre indice donné à regret par Louis XV à sa fille qui insistait, et qui écarte seulement une fausse piste : son emprisonnement « n'a fait de tort qu'à lui- même », c'est- à- dire que ce n'est pas Mattioli , marié et père de famille, vivant avec sa famille et la faisant vivre, au contraire de notre homme Masqué.
La question du valet (servant en anglais) ou le pseudonyme de Matteo Battaglia au moment de l'arrestation et la profession de valet (servant en anglais) de Portail, secrétaire de Msgr Bellings.
"Comme ce n'est qu'un valet..." a écrit Louvois à Saint- Mars le 19 juillet 1669 à propos du Masque de fer. Cette phrase a fait couler beaucoup d’encre, inspirant même une étude d'Andrew Lang, The Valet’s Tragedy, où il avance l'ingénieuse hypothèse de Martin, le valet de Roux : mais celui-ci semble bien être prudemment resté en Angleterre après le supplice du protestant Roux de Marsilly, lequel connaissait l'identité du futur homme masqué et entendait bien s'en servir dans sa conjuration internationale (Suède, Suisse, Hollande, Angleterre, Espagne) pour déposer Louis XIV.
Une partie de la réponse nous est donnée par Monsignor Arthur Stapylton Barnes dans son ouvrage The Man of the Mask, a study of the by- ways of history, 1908, p.250, avec pour références State Papers (Domestic) , 1668- 1669, p.312: le 6 mai 1669, un passeport est émis directement par le roi d'Angleterre Jaques II, alors que les passeports étaient normalement délivrés par le ministère des affaires étrangères , au profit de Matteo Battaglia, , "the king's servant", le valet du roi, afin de retourner en Italie pour trois ou quatre mois et de revenir à Londres. En somme ,c'est sous ce nom d'emprunt , Battaglia, que s'embarque le faux abbé Pregnani (encore un pseudonyme), trahi et dénoncé par le perfide Jacques II à qui il se fiait, et c'est surtout avec cette qualité de valet qu'il est arrêté à Dunkerque par le capitaine de Vauroy sur ordre de Louis XIV du 28 juillet 1669.Or Battaglia existait bien, mais loin d'être le valet de qui que ce fût, il était musicien ( peut -être faut-il voir là l'origine de la rumeur dont la phrase de Voltaire est l'écho : "il jouait de la guitare") et maître de chapelle de la reine à Saint James . Le vrai Battaglia n'alla pas en Italie cette année- là.
D'autre part, il existait dans l'entourage de Roux un autre valet que ce Martin, beaucoup plus intéressant, quelqu'un qui avait été valet en Angleterre (servant en anglais) et appelé Portal, puis Veiras (Veiras est l’anagramme de Villiers de Marsilly, de Veirs.
Le pseudonyme donné au Masque après son arrestation par Louis XIV: Eustache Dauger.
Lorsque, le 28 juillet 1669, Louis XIV dans une lettre à Saint- Mars, évoque "le nommé"... (en blanc )" et que dans sa réponse du 21 août à Louvois Saint-Mars parle du "nommé Eustache d'Auger", il faut bien admettre que Eustache Dauger , anagramme de George Dautriche . George étant une allusion au prénom de Buckingham ) était le nom d'emprunt donné pour son prisonnier à Saint-Mars par Louis XIV , tandis que dans la lettre à Vauroy du 28 juillet Louis XIV indiquait le nom figurant sur le passeport qui lui avait été communiqué par le roi d'Angleterre (qu'il rémunérait!), c'est -à- dire Matteo Battaglia, valet, comme lorsque précédemment, le 19 juillet 1669, Louvois avait parlé à Saint-Mars du "nommé ..."et évoqué sa qualité de valet, celle qui était accolée au nom de Matteo Battaglia.
Nous avons une des lettres du véritable Eustache Dauger de Cavoye à sa sœur, la marquise Henriettte de Fabrègues , alors qu’il était enfermé par lettre de cachet royale à Saint-Lazare, lettre où il se plaint d'être emprisonné depuis dix ans et de le devoir à la cupidité de son frère puîné Louis Dauger marquis de Cavoye , grand ami de Louis XIV (M. M. Mast, Le masque de fer, une solution révolutionnaire, Tchou, 1974, p.229 ).
" Chère soeur, si vous saviez ce que je souffre , je ne doute nullement que vous ne fissiez vos derniers efforts pour me tirer de la cruelle persécution où je suis détenu depuis plus de dix ans par la tyrannie de M. de Cavoye, mon frère... Je vous conjure, chère soeur, pour l'amour de Jésus Christ, de ne pas m'abandonner dans l'état où je suis, s'agissant de mon âme... Si vous me refusez cette grâce, vous aurez à rendre compte devant Dieu du salut de mon âme. »

Le choix du nom de Marchilly, après la naissance du futur Masque, par les cardinaux qui protègent l’enfant.
Où naquit, en 1626, le fils d’Anne d’Autriche,  et quel nom lui fut donné? Nous utiliserons l‘information de Voltaire selon laquelle Richelieu s‘est occupé de faire élever l‘enfant et supposerons que l’enfant naquit dans le fastueux château de Chilly (le futur Chilly-Mazarin dans l‘Essonne), propriété alors du marquis d’Effiat et de Cinq-Mars , château que Richelieu considérait comme sien selon Philippe Erlanger (Le mignon du roi, p. 10) ; l’ état du nouveau-né donnant des inquiétudes, il fut seulement ondoyé , dans l’attente de ce qu’il deviendrait, que ce fût par décision politique ou naturellement.mais il faut rappeler que les enfants naturels n’étaient pas baptisés et n’avaient droit à aucun sacrement… Tant que sa mère Anne d’Autriche fut vivante, il fut protégé par ses soins; mais lorsqu’elle mourut en 1668, il ne vécut pas libre longtemps et, moins d’un an après, il fut enfermé.
Richelieu était l’amant, semble-t-il, de Madame de Cinq-Mars.
Le nom attribué à l’enfant fut d’abord celui de sa mère, d’Autriche et le prénom celui de son père, Georges ; il s’appela donc George d’Autriche, à quoi on ajouta de Mars-Chilly , Chilly étant le nom du lieu de sa naissance et Mars une allusion à Madame de Saint- Mars, propriétaire du château .
Les différentes graphies de Marchilly : un peu de linguistique.
Le nom de Marcilly, Marsilly ou Marcilhe se prononçait Marcille (originellement avec l mouillé, puis avec le son y). Les noms de Marchiel (registre mortuaire de Du Junca à la Bastille) et de Marchially que le roi aurait ordonné d'inscrire sur l'acte de décès du Masque de fer recouvrent certainement un Marchilly. Songeons à la conjuration du protestant Roux de Marsilly l'année même de l'arrestation du Masque : Marsilly était pour Roux un titre dit de courtoisie qu'il ajouta imprudemment à son patronyme Roux comme une menace de découverte de l'existence d'un fils aîné d’Anne d’Autriche appelé Marsilly et de l’usurpation du roi, donc de l'illégitimité du monarque de droit divin. Le marquis Louis Des Champs de Marcilly interrogé au moment de l’arrestation de Roux indique que le nom du protestant «  était seulement Roux. »
Mazarin , qui protégea l’enfant à la mort de Richelieu , prononçait à l’italienne , lorsqu’il informa Louis XIV de l’existence de ce frère, le nom de Marchilly que Richelieu lui avait choisi, savoir Marchilli avec le son [ch] comme dans Mancini prononcé Manchine , avec d’autre part l mouillé italien et non pas le y de la prononciation française, et avec enfin une finale peu audible comme en corse où le i final ne s’entend pas ; du coup le nom, au décès, a été transmis sous une forme incertaine :
1) de Marchiel pour de Marcilly traduisant une prononciation italienne Martchel, la graphie [chi] notant le tch italien et le l traduisant le l mouillé à l’italienne (qui existait encore en français à l’époque, comme en. Le finale i ne s’entend guère. L’ensemble pourrait être noté Marceille ou Marceilly.
Le latin Marcelliacu, propriété de Marcel. donne en français Marcelli, forme archaïque, puis Marcilly.
2) Marchialy figure dans un registre mortuaire aujourd’hui perdu et reproduit par Topin en un fac-simile peu lisible, réimprimé ensuite par Funck- Brentano dans ses Légendes de la Bastille , tandis que le registre du Junca et sa forme de Marchiel, eux, existent toujours. C’est une graphie pour Marchaly Le i après c est un sigle indiquant en italien la prononciation tch. Quant au vocalisme a, il s’explique par l’influence du nom du château de Chilly , qui s’écrivait parfois de façon archaïque et surtout se prononçait Chailly encore au XVIIe siècle , du mot prélatin calliacum, endroit pierreux. L’inscription mortuaire revêtirait une prononciation de Marcilly comme Marchali avec [ tch] italien noté chi et l mouillé
Quelle que soit l’interprétation phonétique, il est certain que la première graphie, Marchiel, recouvre un Marcilly prononcé Marchell(i) et il est très probable que la seconde, Marchialy, recouvre une graphie avec vocalisme a influencé par Chilly- Mazzarin et finale notée,

L’enfance du futur Masque : du château de Chilly au château de Cinq-Mars-la- Pile
George Dautriche a dû être transféré dans un autre château de la famille Cinq- Mars. Peut-être est-il ce mystérieux frère aîné du futur marquis de Cinq-Mars, le comploteur, dépouillé de ses prérogatives d’aînesse au profit de son prétendu frère, au motif qu’il n’était pas très brillant et qu’il était porté vers la religion, et devenir baron de Cinq-Mars écrit correctement Saint-Mars. Le titre de baron de San-Marzo, dont se vantera l’imposteur napolitain, lequel a confié avoir eu en main ses papiers, titre qui a déjoué les recherches jusqu’à maintenant, est selon moi un souvenir de Cinq-Mars, nom de la commune de Cinq-Mars-la Pile en Indre-et-Loire où l’on relève une double faute d’orthographe, car le nom venant de saint Médard aurait dû s‘écrire Saint-Mard.
Le complot de Cinq-Mars avait pour but de renverser Louis XIII, soit en l’empoisonnant (ce qui a réussi après l‘échec du complot), soit d’une autre manière, puis d’instaurer une Régence au profit d’Anne d’Autriche en attendant la majorité du futur Masque, et de confier à Cinq-Mars les fonctions de premier ministre. L’existence d’un hériter méconnu de la couronne est le grand secret de l’opposition sous Louis XIII et sous Louis XIV, des complots de Cinq-Mars et de Roux en particulier.
Les protecteurs de l’enfant le firent venir quelquefois de Cinq- Mars-la- Pile à Chilly où il put rencontrer sa mère.
La période des études à Nîmes
Mais la politique l’emporta et il fut confié à des amis protestants des Cinq-Mars, leur religion devant écarter de lui toute tentation de disputer la royauté à son frère. Il fut alors envoyé à Effiat près de Riom où il fut confié à des protestants, les Portal dont il prend le nom (il le reprendra en Angleterre). Il ne faut pas oublier que le marquis d’Effiat est originaire de cette bourgade d’Effiat située en Auvergne et qu’il avait confié à l’architecte Lemercier le soin de concevoir un projet de ville gigantesque que l’homme de l’art réalisa en fait pour Richelieu près de Chinon, dans la ville appelée Richelieu.
Il est ensuite confié à un gentilhomme d’Auvergne, « vieux champion des précédentes guerres civiles » (P. de Vaissière, La conjuration de Cinq-Mars, p.43, 47 ssq, 72), Josué d’Hondredieu de Chavanhac et à son fils François, ainsi qu’à ses deux beaux-frères François de Calvisson et Agnès (prénom porté par un homme) de Calvisson de Saint-Auban.
Or, Calvisson, près de Nîmes, est le lieu de naissance du chef de la conjuration protestante Roux, comme des Arnauld (à la ferme d’impôts desquels Roux participe) et des Mazel, tous protestants languedociens. Ce sont eux qui trahiront Roux et le Masque : Louis XIV remerciera Pierre Mazel pour son aide lors de l‘arrestation de Roux : « nous avons bien voulu lui commettre, écrit le roi, une affaire de la dernière importance et qui regardait la sûreté de notre propre personne ».
Le Masque est ainsi confié aux de Calvisson, et, protestant dès lors, il vécut à Avignon, comté qui ne dépendait pas de Louis XIV, avec des séjours à Calvisson et à la ville voisine de Nîmes pour des études inachevées à la faculté de théologie : il lui restera des marques importantes de cette formation.
Ses protecteurs furent arrêtés, comme d’habitude, par une violation du droit des gens, en terre papale, à Avignon, comme Roux en Suisse.
Le fils de Chavanhac et ses deux beaux-frères Calvisson de Saint- Auban rôdaient autour de Tarascon, et ils étaient d’intelligence avec le beau-frère de de Thou, l’évêque de Toulon. Après que Roux eut rencontré le futur Masque à Nîmes ou à Calvisson, il ajouta de façon provocante Marcilly à son nom, tandis que notre Masque devient Veiras. Le nom de Veiras, pseudonyme qu’il reprendra en Irlande et en Angleterre, est l’anagramme de Villiers (nom de son père Villiers de Buckingham) de Marsilly.
Citons encore quelques noms qui sont destinés à réapparaître dans la vie de notre héros lorsqu’il prendra le nom de Jacques de Lacloche du Bourg de Jersays .
Penchons-nous d’abord sur ce nom, pour nous ridicule, de Lacloche. Il a été choisi comme traduction de Bellings, le nom de son maître, qui est la traduction anglaise de l"irlandais cloca, le signal de la messe catholique.
Dubourg est une allusion à Anne d’Autriche qui était une Habsbourg, nom où Habs -, feint d’être pris pour la préposition latine abs ou ab désignant la provenance, et est traduit par du.
Il faut reconnaître dans la baronnie de San Marzo le nom du Masque, Marsilly, élevé avec le futur marquis de Cinq-Mars, cher au coeur du futur masque comme Henri de Rohan ; le marquis sera exécuté pour complot contre la vie du roi , après avoir été le favori et l’amant de la reine qui l’a abandonné pour sauver la vie de son fils adultérin auprès de Richelieu..
Le nom de Jersays n’a rien à voir avec l’île anglo-normande de Jersey ni même avec Jersey dans l’Eure, commune de Illiers –l’Evêque, il
renvoie à un ami de Cinq-Mars, le protestant Massu de Jerzays. M. de Jersays (avec cette orthographe) était l’amant en titre de la fille de Sully, dame de Rohan. La fille de celle-ci, dite demoiselle de Rohan avant qu’elle n’épouse un Chabot et ne fonde la famille des Rohan- Chabot, fut la maîtresse du meilleur ami de Cinq-Mars, protestant au demeurant, savoir Henri Massu, marquis de Ruvigny . C’est ce nom de Ruvigny qui se cache sous la forme de ce mystérieux marquisat de Juvigny, legs imaginaire à ses héritiers du pseudo -Jacques de la Cloche de Jersays de Rohan etc. On retrouve donc tous ces noms de Jersay, Henri de Rohan (le chef des calvinistes français), Ruvigny, dans la vie de Jacques de La Cloche, et cela confirme l’identité du catholique de La Cloche et du protestant Veiras.
Le futur Masque eut d’autres protecteurs à la mort de Mazarin; les Fouquet, de Chavanhac, Henri de Rohan, de Jerzays, Massu de Ruvigny , Gaston d’Orléans, son demi-frère Buckingham plus jeune que lui de deux ans, le grand-duc de Toscane, le grand- prévôt de Franche Comté Borrey , Galaup de Chasteuil,  «le Très Grand auteur » de la société secrète des alchimistes et empoisonneurs, Vasconcelos, autre membre important de cette société, qui l’introduisit auprès de Richard Bellings et du grand aumônier lord Stuart d’Aubigny grâce à la reine d’Angleterre qui était née de Bragance. Aubigny –sur-Nere est situé dans le Cher : en 1423, Charles VII avait donné Aubigny à un Ecossais, Jean Stuart, son allié contre les Anglais. Il fréquenta surtout les régions indépendantes de Louis XIV comme le Comtat Venaissin, le Languedoc, Nice, la Franche -Comté espagnole et francophone (le Grand Prévôt Borrey), la Savoie, la Moselle actuelle, l’Irlande, les Flandres, la Suisse, le Luxembourg, la Hollande à La Haye (où il rencontre le chef des calvinistes Henri de Rohan), l’Irlande.
Iung et Duvivier ont cherché un lien entre l’affaire des poisons et celle du masque de fer, mais c’est Funk Brentano dans L e drame des Poisons qui va nous mettre sur la voie, avec la société secrète européenne dite de la Cabale des Philosophes ou des alchimistes qui est le trait d’union.
D’abord, il s’agit pour eux de faire de l’argent grâce à ce que les alchimistes appellent l ‘orichalque, en fait de l’aluminium argenté, et d ‘écouler leur marchandise. Ils ont souvent des fonctions liées à l’argent comme le banquier Cadelan ou comme Roux qui avait pris une ferme d’impôts et dont la Gazette d’Amsterdam écrit qu’il est accusé de faux- monnayage. Le banquier Cadelan et des associés s’apprêtaient à prendre à ferme la Monnaie de Paris quand ils furent arrêtés. Ils venaient de réussir un beau coup qui démontre l’efficacité des formules secrètes de Chastel : un lingot d’argent fondu par Vanens et porté par Bachimont à la Monnaie de Paris venait d’y être reçu à onze deniers douze grains.
Sur le plan religieux et social, cette société secrète exprime une crise de conscience européenne devant la torture et les massacres du catholicisme il s’agit d ‘établir la liberté de conscience, la tolérance (même pour l’homosexualité, de Christine de Suède à Cinq-Mars et à son parent du même nom, au chevalier de Lorraine ou à Vasconcelos).
Sur le plan politique, il s’agit de tuer Louis XIV et de le remplacer par l’héritier légitime, savoir notre héros, comme du temps de Cinq- Mars il s‘ était agi de tuer Louis XIII et de le remplacer par son frère Gaston d‘Orléans. Le Portugal, l’Espagne, la Suisse, la Hollande, le duc de Savoie leur sont plus ou moins acquis.
Pour tuer le roi, ils songent au poison donné par une proche, comme la marquise de Montespan : le valet de Vanens , La Chaboissière, révèle à Nicolas de La Reynie qu’en 1667 «  Vanens  s’était mêlé de donner des conseils à la marquise de Montespan, qui fréquentait assidûment la Voisins,  fait qu‘il n‘a voulu être écrit dans son interrogatoire, après en avoir entendu la lecture » .
Cette mise en cause est ce qui va gêner Louis XIV, le secret d’Etat qui empoisonne son règne à travers la compromission de la mère de ses 7 enfants naturels légitimés. Il fera brûler devant lui, après les avoir fait relire, tous les interrogatoires compromettant Madame de Montespan qu’il avait fait réunir dans une cassette mais , grâce aux notes de La Reynie, nous savons aujourd’hui une partie de cette vérité qu’il a voulu cacher .
Quelques membres de cette société secrète.
Ce sont, en Angleterre, Buckingham, l’aumônier de la reine lord d’Aubigny dont les conjurés chercheront en vain à faire un cardinal , en Irlande Bellings et d’Orreri, la reine Christine de Suède, en France le pasteur Roux , le chevalier de Lorraine, Louis Vanens, Robert de Bachimont, qui avait épousé une cousine de Fouquet, etc. Au Portugal, ce sont Louis de Vasconcelos y Sousa, Comte de Castelmayor qui était le favori d’Alphonse VI et commanda pendant quelque six ans à sa place : c’est lui qui intervenait en Angleterre grâce à la catholique Catherine de Bragance, sœur d’Alphonse et femme de Jacques II, que nous voyons s’entremettre auprès du cardinal Orsini en faveur de la mission de Bellings, qui était l’employeur du Masque sous le pseudonyme de Portal. Il intervint auprès du duc de Savoie jusqu’à la mort de celui-ci, le 12 juin 1675. Il passe ensuite en Angleterre où il gagne la faveur de Jacques II, alchimiste et astrologue passionné comme lui. Il assista à la mort du monarque anglais, et ce fut lui qui, accomplissant en partie le plan du Masque (convertir l’Angleterre au catholicisme et à la liberté de conscience) sous le nom de l’abbé Pregiani, amena le prêtre catholique qui lui administra l’extrême- onction.
Le caractère de George de Marchilly.
Le futur masque reçoit une bonne éducation en français et en latin (divers textes rédigés par lui dans cette dernière langue le prouvent) mais il ignore l'anglais et l'italien. Il ne semble pas doué pour les exercices physiques tels que l’équitation. Il a le mal de mer. Il s'intéresse surtout à la religion et à la chimie bien qu‘il ne soit pas un théologien averti selon Msgr Barnes. Il est ambitieux et souffre de sa situation sociale. Il déteste son demi--frère Louis XIV. . Son père anglais et anglican a été assassiné, sa mère catholique a été forcée de l’abandonner et de le laisser dans l’absence d’identité publique. Il a reçu une éducation calviniste qui lui a imprimé une marque profonde de fatalisme et de croyance à la prédestination.  Il a pratiqué surtout les Evangiles en français, et cite, par exemple, l’Evangile selon Matthieu, 18, 19 et 20: «Nous croyons fermement que c’est Dieu qui nous a inspiré toutes les voies susdites pour nous faire venir secrètement notre très honoré fils, pour ce qu’Il a dit en Sa parole que si deux d’entre vous s’accordent sur la terre pour demander une chose quelconque, elle leur sera accordée par mon Père qui est aux cieux. Car là où deux ou trois sont assemblés en mon nom, je suis au milieu d’eux. » (fin de la lettre du 7 septembre 1668). C’est la croyance dans l’efficace de la prière et l’on est tout près du jansénisme : son ami le grand- aumônier d’Aubigny était suspecté à bon droit de jansénisme.
Il se résignera à son échec à cause de ce fatalisme. Sa haine du père, malgré le bon accueil que lui réserva son demi- frère le duc de Buckingham, englobe aussi l’Angleterre et le protestantisme. Elle se manifeste dans le désir d’aider à la conversion au catholicisme secrètement désirée par Jacques II.
Il a rêvé d'être roi de France, voire roi ’Angleterre , un roi tolérant et accordant la liberté de conscience à tous les sujets, aux protestants de son ami Roux en particulier : dans une lettre prêtée par lui à Jacques II le 4 août 1668 et parlant de lui, il écrit:"étant jeune comme vous êtes, si la liberté de conscience et si la religion catholique rentre en ce royaume (d’Angleterre), vous pourriez avoir quelque espérance pour la couronne:car nous pouvons vous assurer que si Dieu permet que nous et notre très honoré frère le duc d'Yorck mourions sans enfants, les royaumes (de France et d’Angleterre) vous appartiennent et le parlement (d’Angleterre) ne peut pas légitimement s'y opposer". A défaut, il se contenterait bien volontiers du chapeau de cardinal : «  nous espérons que (le Pape) aura trop de bonne volonté envers nous pour lui refuser le chapeau de cardinal; d’autant que les conditions qui le pourraient empêcher d’avoir cette dignité, pour l’honneur de nos personnes et de nos royaumes, ne se rencontrent pas en lui, savoir, de demeurer en Angleterre, puisque nous pourrons l’envoyer demeurer à Rome, comme nous prétendons avec la magnificence royale due à sa naissance » (lettre du 7 septembre 1668).
Le plan du pseudo- Jacques de La Cloche

Les premiers pseudonymes du Masque que nous rencontrons : Henri Cromwell, le duc Henri de Rohan, Borrey.
Les pseudonymes Henri Cromwell ( nom du fils puîné du fondateur de la république anglaise et du responsable de la décapitation du roi) porté en Irlande , personnage qui disparaît mystérieusement après 1659 ou plutôt auquel succède , toujours en Irlande, celui de Portal: la rumeur rapportée par son futur geôlier Saint- Mars parle , à propos du Masque de fer, d’un fils de Cromwell , l’aîné , Richard) et Henri de Rohan annoncent la couleur car ce dernier ,”à nous très connu et intime”, écrit Jacques de Lacloche en signant du roi d’Angleterre, était le chef des calvinistes. Curieux choix de pseudo pour un nouveau converti au catholicisme! En effet, en 1659, le marquis de Bonnesson, protestant, avait en Normandie réveillé le feu allumé par les Va-nu-pieds, feu que Henri de Rohan entretiendra. . Au moment même de l’arrestation du Masque de fer, en 1669, éclate , toujours en Normandie, le complot d’un marquis protestant de Courboyer, amant de Madame de Gudane, mère de Madame d’Aulnoy, l’auteur de Contes de fées. Le marquis mourut courageusement après avoir été torturé, sans renier sa foi et en envoyant au diable les prêtres catholiques qu’on lui avait imposés sur l’échafaud. Madame d’Aulnoy fut arrêtée , mais tandis que deux interventions écrites du roi réclamaient la plus grande sévérité pour Courboyer et son complice, Madame d’Aulnoy était vite libérée et tous les procès-verbaux étaient remplacés par des feuillets blancs.
Le pseudonyme de Borrey, grand- prévôt de la Franche- Comté espagnole, ami de Roux et l’accompagnant en Suisse, est mal relevé et transcrit par erreur Bovere (un Bover a été le transcripteur, semble-t-il, de là l’erreur) dans l ‘état- civil du comparse de Jacques de Lacloche, celui qui lui a volé des papiers.
Portal, puis surtout Veiras, alias le Masque, à Londres avec la conjuration de Roux de Marcilly.
Dans une note annexée à une lettre de Croissy, ambassadeur du roi de France, en date du 15 juin 1669, une semaine avant l’arrestation du Masque, Croissy écrit qu'à l'annonce qui lui est faite de la capture de Roux, Veiras (le futur Masque) répond: " que cela ne pouvait être et qu'il en venait de recevoir une lettre qu'on croit être du 1er mai, par laquelle il mandait qu'il était suivi, mais qu'il leur taillerait encore bien de la besogne... » L’ambassadeur continue : « On est averti qu'il y a depuis six ou sept mois à Londres un nommé Veiras qui est de Languedoc, et de la R. P. R. (Religion Prétendue Réformée, calvinistes), lequel a de grandes habitudes avec le nommé Roux de Marsilly, en sorte que l'un ne faisait rien sans la participation de l'autre et étaient enfermés les nuits entières chiffrant conjointement ; ce Veiras se dit envoyé de ceux de la RPR de France, il est protégé par le comte d'Orreri qui a l 'habitude de l'employer en Irlande, à cause de la proposition que ledit Veiras lui a faite d'amener quantité de Français audit pays .Il fréquente souvent chez le duc de Buckingham et milord Arlington et allait aussi chez l'ambassadeur d'Espagne."
L'ambassadeur du roi de France à Londres écrit encore: "m'étant enquis de ce Veiras dont je vous ai écrit, j'ai su de plusieurs endroits qu'il était le camarade (de Roux de) Marsilly, aussi méchant que lui, employé dans les mêmes affaires, dont il a une entière connaissance et les continue encore. Il est du même pays, était autrefois servant (valet, secrétaire, de Bellings en Irlande ) sous le nom de Portal , depuis s'étant intrigué dans des cabales et ayant parlé contre le roi d'Angleterre et le gouvernement, il fut condamné à un bannissement perpétuel , nonobstant lequel il est revenu sous le nom de Veiras, s'est associé avec Roux, a reçu des lettres de ce scélérat pendant qu'il était en Suisse, a un chiffre avec lui, et depuis sa détention (celle de Roux) continue ces mêmes pratiques; il a vu souvent l'ambassadeur d'Espagne et on croit qu'il en a aussi tiré de l'argent.
«  Le même homme qui m'a donné cet avis, que je dois vous dire , Monsieur, avoir été ami dudit Veiras, avoir gardé ses papiers et ne s'être brouillé que sur des dettes et prétentions (d'être le roi légitime de France), m ' a dit que le voulant faire arrêter, et ayant su que le comte d'Orrery le protégeait auprès du duc de Buckingham, il avait voulu en parler au duc, mais que l'un de ses domestiques, qui est de ses amis, lui avait dit de n'en rien faire, que Veiras était fort bien avec ledit duc [son demi- frère] , et que lorsqu'il ordonne à ses gens de dire à ceux qui le viennent voir qu'il n'y est pas, il en exceptait toujours celui- là avec lequel il était quelquefois des heures enfermé (précaution pour éviter que sa ressemblance avec le roi de France et avec le duc ne puisse être remarquée); ce donneur d'avis s'est même offert de faire arrêter ce Veiras sous le prétexte de son premier bannissement et dit qu'il a un témoin qui est le secrétaire d'un évêque qui lui soutiendra ce qu'il a dit , encore depuis peu , de la personne du roi d'Angleterre et de son gouvernement". De Lionne lui répond : "le roi ne veut pas non plus que vous fassiez aucune instance au roi d’Angleterre, de quelque nature qu'elle soit, sur le sujet de Veiras; abandonnant cet homme à sa mauvaise conduite dont Dieu pourra fournir quelque jour les moyens de ne pas la laisser impunie".Bel exemple de feinte clémence chez un roi qui ne nous y a guère habitués.
Jacques de Lacloche, lorsqu’il prendra ce pseudonyme, donnera une version édulcorée de son bannissement par le roi en forgeant la lettre cens
prêtée à Jacques II du 8 août 1668 où il évoque l’interception de ses courriers et ses conséquences : « nous fûmes obligés […] de consentir, aux occasions, à plusieurs choses tournant au désavantage de plusieurs catholiques de notre royaume d’Hybernie (l’Irlande) », savoir son bannissement.
Dans un autre rapport, on lit :"Le papier ci- joint qui contient un projet de requête des religionnaires (protestants) de France au Roy de la Grande-Bretagne a été pris audit Veiras, et est écrit, à ce qu'on assure, de sa main, que Marsilly reconnaîtra". Il serait intéressant de pouvoir comparer l'écriture et les idées avec celles des textes de Jacques Stuart de Lacloche. Le Ministre de Lionne écrivit aussi à son ambassadeur : "Roux ayant fait savoir au roi qu'il désirait la grâce de lui pouvoir parler pour lui révéler des choses qu'il ne pouvait confier qu'à sa seule personne, Sa Majesté n'a pas voulu le voir et m'a envoyé à la Bastille" à deux reprises ; voulait-il lui révéler l'identité et les prétentions du demi- frère du roi, le trahissant et révélant au roi de France qu‘il avait pris l‘identité de Veiras? Le roi d’Angleterre n’avait- il plus, dès lors, qu’à indiquer à Louis XIV la date de son départ et sa fausse identité de Matteo Battaglia, valet du roi? Que signifient d'autre part les paroles « effroyables » qu'il prononce contre le roi sur la roue et comment Louis XIV peut- il dire : "M. le lieutenant criminel, nous voilà débarrassés d'un bien méchant homme" ?
Penchons-nous sur l'identité de l'indic de l'ambassadeur. nous pensons qu'il s'agissait d'un protestant parlant français que le masque connaissait du Languedoc, qu'il avait fait venir en Irlande chez d'Orrery et qui , comme lui , désira se convertir chez les Jésuites de Rome pour quelque argent..
De qui ce Portal fut-il le servant, le valet, disons plutôt le secrétaire particulier, l'homme de confiance? Du noble Irlandais Richard Bellings (né à Dublin 1600? -1677), catholique, secrétaire de la Confédération irlandaise en 1642, secrétaire particulier de la reine- mère Henriette-Marie à Somerset House (de qui Bellings tint son secrétaire Portal) et messager secret de Jacques II, envoyé fin 1962 par le roi d'Angleterre à Rome avec Portal, pour négocier l'accession au cardinalat de lord d'Aubigny ainsi que la conversion secrète, en prime en quelque sorte, du roi au catholicisme, si le chapeau de cardinal était accordé à son parent. C'est à Richard Bellings, pour qui il éprouva une grande admiration, que le Masque dut sa conversion au catholicisme. Quelles furent les deux causes de la condamnation de Portal au bannissement perpétuel?
Première cause du bannissement du futur Masque : des vues trop hardies sur la liberté de conscience .
Notre secrétaire rédige des lettres au pape et il les signe du nom de Jacques II : surtout, il va trop loin dans ce qu'il fait écrire au chef de l'Eglise anglicane, même en latin.
"(Le roi) déclare qu’il déteste le déplorable schisme et l'enseignement hérétique introduit par Luther, Zwingli, Calvin, Menon [fondateur des Menonites aux Pays-Bas], Socinius, Brown [Robert Brown , fondateur du Congrégationnisme], et autres maudites créatures de cette sorte, car il sait d'amère expérience, et mieux que personne dans ses trois royaumes de Grande-Bretagne, d'Ecosse et d'Irlande, quels puissants démons ont été introduits par la soi-disant Réformation, qui mériterait d'être appelée la Déformation. Car cela a jeté bas tout gouvernement établi et a introduit une confusion digne de la tour de Babel à la fois dans l'Eglise et dans l'Etat". « Remarquable déclaration de foi", constate sereinement le catholique Msgr. Barnes, p.155, 1908, à comparer avec les déclarations signées de Jacques de La Cloche (lettre du 7 septembre 1668) : « la religion protestante, à laquelle nous faisons semblant d‘être attaché plus que jamais, quoique devant dieu qui connaît les cœurs nous l‘abhorrions comme très fausse et pernicieuse… » Suivent 24 notes très hardies, annonciatrices de la constitution civile du clergé sous la Révolution française, en faveur d'une Réunion concordataire de la papauté et de l'Angleterre, Barnes, P. 155-156, et Laloy, Enigmes du grand siècle, 1913, p, 17 : "Les archevêques et évêques en fonction qui donneraient leur adhésion à ce concordat devraient être confirmés par trois légats apostoliques nommés pour cela uniquement. L'archevêque de Cantorbéry deviendrait le patriarche des trois royaumes et le chef de l'administration ecclésiastique, sauf dans certaines matières réservées à un légat ad hoc, qui devrait être de nationalité anglaise et résider en Angleterre. Le reste du gouvernement de l'Eglise serait dirigé par des synodes diocésains annuels et par un concile national se réunissant à des dates fixes. Le roi nommerait les évêques et les biens de l'Eglise confisqués seraient maintenus à leurs possesseurs actuels. Les prêtres mariés conserveraient leur femme, mais ceux qui seraient ordonnés par la suite observeraient le célibat. La messe serait célébrée en latin, mais accompagnée de cantiques en anglais, et l'Eucharistie serait donnée sous les deux espèces à ceux qui le souhaiteraient. La liberté de conscience serait accordée à tous, ni Charles ni ses successeurs ne pourraient être obligés de traiter cruellement les Protestants Quelques congrégations seraient autorisées, même les jésuites dans l’enseignement, ainsi que d'autres pour les soins hospitaliers.".
Seconde cause du bannissement : les menaces contre le Pape
Bellings et le Masque ont rendu visite au cardinal de Retz à Paris sur la route de Rome. Notre Masque, sous le pseudonyme de Retz, va à Hambourg, d’ où il menace le Pape d'expédier une flotte de vingt navires devant Civita- Vecchia s'il n'obtempère pas à la demande de cardinalat pour lord d’Aubigny.
Après sa condamnation au bannissement, Portal change de pseudonyme et devient le protestant Veiras , anagramme de Villiers (de Buckingham) de Marcilly, et entre dans la conjuration de Roux pour prendre le pouvoir en France. Il joue un jeu difficile : en 1669, il est à la fois le catholique faux abbé Pregiani auprès du roi et le protestant Veiras auprès de Roux, probablement républicain.
Avant l’épisode anglais : la conversion à Rome au catholicisme : le novice jésuite répondant au pseudonyme de Jacques Stuart de Lacloche du Bourg de Jersay.
Le futur masque n’a jamais connu sa date de naissance ni celle de son ondoiement : il n’avait pas de certificat de baptême et ne pouvait aucunement prouver son identité. Il lui en fallait un s’il voulait devenir novice. Qu’à cela ne tienne ! Il rédige en latin un faux certificat qu’il signe de l’ex-reine Christine de Suède, convertie au catholicisme et vivant à Hambourg :
« Jacques Stuart, incognito sous le nom de De la Cloche du Bourg, naquit dans l’île de Jersey et il est le fils naturel de Jacques II, roi d’Angleterre. Sa Majesté britannique nous a reconnu en privé qu’il était bien tel. Il fut élevé dans la secte calviniste, mais il l’a aujourd’hui quittée pour se joindre à la Sainte Eglise Romaine à Hambourg le 29 juillet 1667. Nous avons trouvé bon de confirmer et d’attester ceci de notre main, même si cela n’est pas dans nos habitudes, afin que dans sa situation extraordinaire il puisse être capable d’ouvrir son cœur à son directeur en confession et de chercher conseil pour le salut de son âme.
(Cachet) Christina Alexandra »
Il se garde bien de nous indiquer ses parrain et marraine. Il choisit aussi le nom sous lequel il prétend s’être fait baptiser, Jacques de Lacloche du Bourg de Jerzais, en souvenir de l‘ami protestant de Cinq-Mars . Pourtant, rappelons-le, notre Jacques de Lacloche de Jersay n’a aucune ascendance dans l’île anglo-normande de Jersey , il le reconnaît lui- même dans la lettre prêtée à Jacques II du 7 septembre 1668 : « Votre Révérendissime Paternité fera courir le bruit qu’il (Jacques de Lacloche) est allé à Jersé ou Hanton (le port de Southampton) voir sa mère prétendue qui se veut faire catholique, comme nous avons mis et dissimulé (cherché à faire croire) dans cette autre lettre »[lettre du 3 août et surtout du 29 août 1668: « nous lui avons ordonné d‘aller à Jersé et à Hanton (le port de Southampton) , …qu‘il feigne à Votre Révérence qu‘il est fils d‘un riche prédicant, lequel étant mort depuis quelque temps , sa mère mue de quelque envie de se faire catholique et de lui donner le bien qui lui appartient, lui a écrit et qu‘ainsi Votre Révérendissime paternité, désireuse du salut de cette personne et de la faire catholique, voyant aussi qu’il peut avoir son bien, lui permettra facilement d’aller (en Angleterre) ».] A noter le lapsus calami freudien révélateur: au lieu de la reine régnante (il s’agit de la femme du roi d‘Angleterre, lettre du 3 août 1668), le futur masque écrit la reine régente. Il récidive dans sa lettre du 29 août, tant l’idée lui tient à cœur.

L’imposteur et traître mort à Naples.
Il nous faut maintenant réfuter la thèse généralement adoptée aujourd'hui qui fait mourir Jacques de La Cloche à Naples le 7 septembre 1669 .Il s’agit manifestement , non de Jacques de la Cloche, mais de l’ acolyte jésuite du Masque : nous ignorons son identité, même si nous pouvons songer à un protestant nîmois du type d’un Mazel ou plus probablement d’un Arnauld, que le masque connaissait du Languedoc, qu'il avait fait venir en Irlande chez d'Orrery et qui , comme lui , désira se convertir chez les Jésuites pour quelque argent. Sans argent, il quittera Naples pour quémander de l’argent à Londres auprès de son ami Jacques de La Cloche, mais, celui-ci étant désargenté, il se retournera vers l’ambassadeur de France au moment de la conjuration de Roux et n’hésitera pas à le trahir pour de l’argent. Tel est l’indic qui le perdra.
Le départ de Rome pour l’Angleterre ou exit Jacques de La Cloche et l’apparition de l’abbé Prégiani.
Ainsi, notre ancien membre de la Religion Prétendue Réformée, Portal, puis Veiras, s’était converti au catholicisme et il était même devenu novice à Rome chez les jésuites, sous le nom de Jacques Stuart de Lacloche du Bourg de Jersay. Il forge diverses lettres qu'il signe de Jacques II, roi d'Angleterre ,dont des actes de reconnaissance du roi Jacques II comme étant son fils naturel, puis se fait rappeler à Londres par une fausse lettre de celui-ci au général des jésuites .Une autre lettre du roi ( en réalité de notre Jacques), d'une naïveté touchante , témoigne de l'ennui que cause au roi pour son fils bien- aimé cette obligation faite aux jésuites de voyager accompagné par un acolyte , règle dont le roi demande , en vain, l'exemption au général des jésuites . Le roi (entendons Jacques de Lacloche) interdit à son prétendu fils de le rejoindre en Angleterre avec un jésuite italien : même si c’est un Français, celui-ci ne devra pas l’accompagner en Angleterre. C’est ce que le général des jésuites acceptera en partie en donnant au futur faux abbé Prégiani un acolyte francophone, l’imposteur mort à Naples Au lieu de se rendre à Libourne pour gagner Paris et Londres, ils prennent tous deux la direction inverse et arrivent à Naples, patrie du vrai abbé Prigiani (un agent du grand-duc de Toscane et affidé de la société secrète des alchimistes). A Naples résidait un abbé de San Aniello , des chanoines réguliers de Saint-Sauveur , et Jacques de La Cloche se fait confesser par lui : "Jacques poursuivit avec une grande fréquence et ferveur ses exercices de religion... Il ne donna sur lui - même à ce confesseur que des renseignements équivoques et obscurs, disant que son père était un grand seigneur anglais (le duc de Buckingham, protestant) et que sa mère, également de grande maison, professait la vraie foi de
l’Eglise romaine (l'espagnole et catholique Anne d’Autriche), il avait lui- même abjuré l'hérésie et s'était converti, éclairé par d'excellents religieux (Bellings)."
Tandis qu'il se livre à ses exercices religieux, son acolyte tombe amoureux de la logeuse d'une l'auberge et, la mariée attendant un héritier, il doit se marier d'urgence le 10 février 1669, sous le nom ronflant de dom Jacobus Henricus de Boveri (Borrei, le prévôt de Franche-Comté) Roano (Henri de Rohan), anglicani ( calvinistes) et baron de San Marzo . Dans son testament, sur son lit se mort, il fait des dons fastueux, engageant un marquisat imaginaire de Juvignis, valant 300 000 doublons et plus : selon nous, c’est l’altération du nom du marquis de Ruvigny, le protestant qui était l’ami de Cinq-Mars et l’amant de Mademoiselle de Rohan.
Avant la célébration du mariage, Jacques de Lacloche , sous le nom de Jacques Stuart, le quitte en lui laissant une partie des doublons remis par le général des jésuites, trop heureux de se retrouver libre et seul. On remarque que son acolyte en parle comme d’un chevalier appartenant à l’Ordre de Malte. Or, le «Très Grand  Auteur » de la société secrète des alchimistes, François Galaup de Chasteuil, se faisait appeler” le chevalier” et, en 1644, il était devenu chevalier de l'ordre de Malte, car il avait rendu à l'ordre des services signalés : le grand- maître en personne , Lascaris, avait attaché sur sa poitrine la croix d'honneur. Jacques de Lacloche se rend à Paris en passant justement par le château italien appartenant à Galaup de Chasteuil, le château de Verceil, où il reçoit argent, mission et le pseudonyme d’abbé Pregiani.
Il rend aussi, probablement, visite au grand-duc de Toscane qui lui confirme sa mission et rend visite à Henriette d’Angleterre, puis arrive à Londres où il rencontre Jacques II.
Le plan du pseudo- Jacques de La Cloche
Que prétendait faire le frère aîné de Louis XIV en soutenant le complot de Roux de Marcilly d’une part et d’autre part en jouant le convertisseur au catholicisme de Jacques II, lui l’ancien calviniste? Pourquoi ce plan, fou en apparence, l’amenant à se dire le fils naturel de Jacques II, ce qu’il savait être faux?
Il voulait , d’une part, en ramenant le royaume d’Angleterre dans le sein de l’Eglise , faire ce que réussit à sa place Dom John Hudletone qui donna l’extrême onction catholique à Jacques II, le convertissant in extremis le 5 février 1685.
Mais, pour cela, il fallait que le futur Masque puisse approcher le roi sans donner de soupçon à la cour que « le papisme et les sabots », voire les jésuites , rôdaient : tel est le but du stratagème du faux abbé soi-disant théatin (donc non- jésuite) Prégiani approchant le roi sous couleur d’astrologie et d’expériences de chimie et celui de l’invention d’un fils naturel du roi.
Ignorant des difficultés que la papauté lui opposerait nécessairement puisqu’on ne peut être catholique en secret ni ordonné prêtre sans attester de son identité, naïf en somme, il écrit sous la signature de son père supposé Jacques II (lettre du 3 avril 1668) : 
« il y a longtemps que nous prions Dieu de nous faire naître l’occasion de pouvoir trouver une seule personne dans nos royaumes de qui nous pussions nous fier touchant l’affaire de notre salut sans donner ombrage à notre cour que nous fussions catholique. La providence de Dieu a pourvu et secondé nos désirs, nous faisant naître ( !) à la religion catholique un fils auquel seul nous pouvons nous fier dans une affaire si délicate. Il sera toujours assez capable pour nous administrer en secret les sacrements de la confession et de la communion (la conversion au catholicisme) que nous désirons recevoir au plus tôt. »
Le faux Jacques II continue : « Si notre cher et bien aimé fils n’est prêtre , et s’il ne peut pas l’être sans faire savoir publiquement son véritable nom et sa naissance (autres que Jacques de La Cloche , né dans l’île de Jersey), ou pour autres circonstances (ce que nous disons pour ne savoir pas votre manière d’agir en ces rencontres), en ce cas, qu’il ne se fasse plutôt point prêtre à Rome que de rien dire aux évêques ou prêtres qui il est , mais qu’il passe par Paris… Le roi et Henriette d’Angleterre trouveront et auront le pouvoir de le faire prêtre, sans que l’on sache qui il est et avec tout le secret possible, comme nous nous persuadons. Si ce n’est que, sans tant de détours, il aime mieux venir à nous sans être prêtre, ce qui sera peut- être le mieux, puisque nous pourrons faire la même chose par le moyen de la reine notre honorée mère ou de la reine régente qui pourront avoir à leur volonté évêques, missionnaires ou autres, pour faire la fonction, sans que l’on sache et s’aperçoive de quoi que ce soit. »

Sur le même point (lettre du 29 août 1668) : « S’il y a quelque chose que l’évêque ordinaire (de Londres) ne puisse pas faire sans permission de Sa Sainteté, que (Jacques de La Cloche) ne manque pas de pourvoir très secrètement (à son ordination), en telle sorte qu’on ne vienne point à savoir qui il est ; ce qu’il fera, s’il peut, auparavant que de partir de Rome. »   Le 4 août, il semble se résigner volontiers à ne pas devenir prêtre, prétextant que ses forces et sa constitution étant trop faibles Et puis « On peut être bon catholique sans être religieux.»Bref, il y avait trop de difficultés pour être ordonné (au moins l’obstacle de l’identité), si bien que l’invention d’un abbé alchimiste et astrologue se révèle indispensable. Exit Jacques de La Cloche!
Le faux abbé Prégiani
Nous employons l'orthographe Prégiani, distinction très relative,mais commode , pour différencier le faux abbé du vrai dont nous orthographions le patronyme Prigiani, abbé napolitain qui a survécu à l'arrestation du Masque, - ce qui a amené à tort Barnes et Laloy à revoir leur copie lorsqu'ils ont été persuadés que l'abbé Pregiani et le Masque de fer ne pouvaient être le même homme. C'est ce faux abbé Pregiani qui, sous le nom de Matteo Battaglia, valet (servant) du roi, sera arrêté par le major de Vauroy aux alentours de Dunkerque deux jours après le départ signalé de notre abbé pour l'Italie en passant par Paris.
Le signe qu'il s'agit bien de notre homme nous est donné par Jacques II dans une lettre chiffrée en anglais , du 20 janvier 1669, à sa soeur Madame Henriette d’Angleterre, duchesse d'Orléans , échange de correspondance Louis XIV détruira cet échange de correspondance après la date du 24 juin 1669, nous privant de ce qui concerne le secret du Masque de fer : "j'en étais arrivé ici de ma lettre, quand je reçus la vôtre par l'Italien dont vous ne connaissez pas le nom ni la qualité( !), et il me la remit dans un passage où il faisait si noir que je ne reconnaîtrais pas sa figure si je le voyais de nouveau (ceci se passe au palais de Whitehall!) Cet homme réussira sans doute (ironie) puisque sa recommandation (il n’en aucune puisque Henriette ne connaît, écrit-elle, ni son nom ni sa qualité) et sa réception (dans le noir) s’harmonisent si bien. » Le roi est aussi prudent que sa soeur : ils ne veulent pas avoir aperçu la ressemblance criante entre le messager italien et Louis XIV.
Le même tabou d’évitement se retrouve dans le comportement de Louis XIV vis- vis du faux abbé, tel que son ministre de Lionne en fait part à son ambassadeur à Londres le 13 février 1669 :"Sa Majesté défend (à l'abbé) de rien écrire ici, tant qu'il sera en Angleterre, non pas même à moi, Sa Majesté ne voulant rien connaître que par votre seul canal, comme il est juste; et que par conséquent, quelque chose qu'on lui pût dire dont on lui demandât le secret à votre égard, il doit vous le dire tout; et que s'il manquait à cela, et qu'il le fît passer ici sans votre participation, Sa Majesté, quelque avantageuse que lui pût être la chose, lui enverrait aussitôt ordre de s'en revenir".
Les trois missions secrètes de l'abbé sont fort embrouillées :
1)La seule dont l'ambassadeur ait connaissance consiste dans la négociation du traité secret de Douvres par lequel la France, catholique, s'unit à la protestante Angleterre contre la protestante Hollande, avec en plus un salaire versé secrètement au roi d'Angleterre. Sont au courant seulement le roi de France, l'ambassadeur à Londres, le ministre de Lionne , le roi d'Angleterre et sa soeur Henriette , puis, rapidement, par les indiscrétions de l'ambassadeur, l'abbé et son demi-frère le ministre protestant Buckingham.
2) Mais ce n'est là que l'aspect le plus clair de sa mission : pour doubler l'ambassadeur dont c'est pourtant la fonction, le roi de France consent à envoyer, sur la demande de Jacques II un abbé en apparence astrologue et chimiste sous le prétexte de la première mission, mais en réalité destiné à enseigner secrètement à Jacques II les éléments du catholicisme pour le préparer à sa conversion . Seuls Jacques II, sa soeur Henriette et l'abbé sont au courant de son désir secret de se convertir : c’est ce que Charles appelle le "grand secret" dont Msgr Barnes raconte très bien les détails. On trouvera , après la mort de Jacques II, dans sa poche, avec des reliques liées également à quelqu'un qu'il a trahi, des papiers de controverse religieuse rédigés par l'abbé en français (Barnes, op. cit, . p.262), le texte français se trouvant dans les archives du Vatican, et une autre version existant, traduite en anglais, -tout ceci montrant que l'abbé (précédemment le séminariste jésuite Jacques de La Cloche) s'est bien acquitté de la mission voulue par Jacques II, mission dont Louis XIV se souciait comme d'une guigne,et qu'il ne lui avait aucunement confiée, puisqu'il ignorait le désir de Jacques II de passer au catholicisme secrètement et préfèrera trahir l'abbé plutôt que celui qui le stipendie, le roi de France, lui indiquant la date où l'abbé quitte l'Angleterre et sous quelle identité (celle du valet Battaglia).
3) Mais la mission la plus secrète et la plus invraisemblable,c’est celle que Louis IV confia avec hésitation au faux abbé Pregiani, peut-être sur l’imprudente demande de ce dernier auprès de la seule intermédiaire que le roi acceptait, Henriette d’Angleterre :elle consistait à donner au roi de France des informations sur l'homme qui se faisait passer pour l'héritier légitime de la couronne de France, Veiras, l’homme qui était le fer de lance et l'arme secrète de la conjuration de Roux de Marsilly, -cet homme qui n'était autre que lui-même !
Pourtant, Louis XIV, méfiant, n’acceptait, ni de rencontrer l’abbé, ni de recevoir de missive de sa part. Lorsque plus tard le roi voudra s'enquérir auprès de Fouquet si Eustache Dauger, c’est-à-dire l’abbé Prigiani , avait révélé "ce à quoi il avait été employé (par le roi Louis XIV-le passif impersonnel est révélateur!) avant son arrestation" devant l'autre valet de Fouquet, Larivière, ce n'est que de la 3e mission qu"il s'agit, celle qui révèle l'inquiétude du roi sur l’identité du prétendant. Et ceci démontre bien que Fouquet savait tout avant son incarcération à Pignerol en 1661. De même, lorsque Jacques II écrit à sa soeur le 7 mars 1669 : "J'ai constaté que l'abbé Pregnani avait beaucoup d'esprit, mais vous pouvez être sûre que je n'entrerai pas en liaison avec lui plus qu'il ne convient aux renseignements que vous m'en avez donnés" "Your character" signifie, non pas comme Laloy le traduit, p.74," à votre caractère", mais : à la description de l'individu).
Richard Bellings est l'homme -clé qui a dû mettre en relation notre futur Masque et Jacques II , lui qui intervient à deux reprises comme représentant personnel secret de Jacques II , une première fois vis- vis du Saint-Siège, d'abord, puis une seconde fois vis- vis de Henriette d’Angleterre. Malgré le fait que le futur Masque ait été trop loin la première fois et que, condamné au bannissement, il ait dû changer de pseudonyme, il est resté dans les meilleurs termes avec son maître.
La lettre du 8 août 1668, Barnes, op. cit., p.305 et 306) fabriquée par Jacques de Lacloche annonce le plan qu'il mettra en oeuvre sous le pseudonyme du faux abbé Pregiani : approcher Charles pour lui expliquer la supériorité du catholicisme sans donner de soupçons aux protestants, sous le prétexte qu'il serait son fils naturel, avant que le roi ne songe au paravent de l'astrologie et des expériences de chimie, dès lors qu'il aura obtenu pour le souverain le privilège d'être catholique dans son for intérieur tout en demeurant provisoirement le chef de l'Eglise anglicane :"Quoiqu'il y ait eu ici (à Londres) une multitude de prêtres, tant au service de la reine dont une partie a habité dans nos palais de Saint- James et de Sommerset -House, que dispersés dans toute notre ville de Londres, toutefois nous ne pouvons nous servir d'aucun, pour l'ombrage que nous pourrions donner à notre cour par la conversation de telles gens qui, sous quelques déguisements d'habits qu'ils puissent avoir, sont aussitôt reconnus pour ce qu'ils sont... Comme il (Jacques de La Cloche ) n'est ici connu en aucune façon, ...nous pouvons en toute sûreté converser avec lui et exercer en secret les mystères de la religion catholique, sans donner ombrage à qui que ce soit de notre cour que nous soyons catholique, ce que nous ne pouvons faire avec aucun missionneur ( anglicisme ), tant aussi pour la confiance que nous avons de lui ouvrir notre conscience avec toute liberté et sincérité, comme à une partie de nous-même ...Dieu s'en veut servir pour notre salut".
La pierre d’achoppement, ce sera son identité sulfureuse et son soutien au protestant Roux de Marsilly, poussant le roi d’Angleterre à dénoncer son ami à celui qui le rémunère : Louis XIV.


Les prisonniers dont le Masque de fer a partagé la captivité.
Pour ce qui suit , je me suis appuyé en particulier sur Iung (La vérité dur le Masque de fer Les empoisonneurs) et Petitfils( L’affaire des Poisons crimes et sorcellerie au temps du Roi Soleil), à ma façon bien entendu en domaine si incertain.

1) Le moine jacobin fou (jacobin signifiant dominicain, 1676 -mort à Exiles le 4 janvier 1687)
De nombreux pseudonymes : Lapierre, abbé de Saint-Eustache, , prêtre de Monmartre (la rue Montmartre vers les Halles où se trouvait Saint-Eustache) , vicaire de Saint-Sauveur, abbé du Colombier, Saint-Georges, marquis de Saint-Pierre,de Saint-Maurice au service de l’archevêque de Sens, le mylord anglais, Gomma. C’est le demi- frère de Romani, le célèbre empoisonneur; c’est le confesseur et amant de Claude de Vin, dite la Des Oeillets, maîtresse de Louis XIV. De son vrai (?)nom Castanieri.
C’est le plus important des prisonniers après le Masque de fer qu’il suivra à Exiles. Il a été plusieurs fois enfermé à Pignerol mais bénéficie de puissantes protections.
Il sera atteint d'hydropisie, -nous dirions d' oedème du poumon, - à Exiles et désira faire son testament : il avait une femme à Villefranche -sur- mer (on qualifie cet abbé de “faux prélat”) et il mourut à Exiles en 1687.
Il a été plusieurs fois emprisonné à Pignerol, puis libéré, évadé et repris sous divers noms. Il était mal identifié. Il a d’abord été emprisonné avec Mattioli, puis avec Dubreuil qui se plaint vivement de sa compagnie et selon lequel il serait fou, avec un valet de Fouquet, Larivière probablement. C’est l’un des prisonniers de la tour d’en bas, l’un des deux merles (au sens péjoratif de l’expression actuelle : ces deux zozos, ces deux oiseaux) que Saint Mars emmène à Exiles avec le masque de fer, l’un des deux aumôniers (avec Dubreuil que nous verrons après) cités dans la correspondance, à qui on autorise le bréviaire et des livres de prière. Agent de la cabale des alchimistes contre la vie du roi, agent politique de l’Espagne dont il touchait de l’argent, de Rome, de la Savoie (dont il touchait aussi de l’argent) et de l’Allemagne, il ne sera ni jugé ni mis à mort car il était seul à pouvoir témoigner de la culpabilité de la demoiselle Des Oeillets , un temps servante de la marquise de Montespan et elle-même maîtresse du roi, dans les complots d’empoisonnement du roi, de la marquise de Montespan et d’une autre maîtresse du roi, Angélique de Fontange , comme dans les empoisonnements et messes noires de la marquise de Montespan elle-même à Montlhéry notamment.
Ses aspects sont multiples : c’est un grand séducteur des maîtresses du roi notamment ; la marquise de Montespan , bien renseignée, dit de lui au roi pour tenter de dégoûter celui- ci de sa maîtresse (Petitfils, P.288) : la princesse de Wurtemberg “se prostitue à un moine jacobin qui prétendait avoir découvert la pierre philosophale”.Il s’agit bien de notre homme qui est aussi bien alchimiste et sataniste que militaire à l’occasion
Suivons maintenant quelques-unes de ses arrestations.1) Le 4 octobre 1673, sous le nom de Castanieri (Iung, p.219) Il était arrivé une nouvelle fois de Villefranche-sur-Mer (résidence de sa femme) en passant par Vintimille et s’installe à Turin, portant le titre de marquis de Saint-Pierre (il portait les fois précédentes le nom de Saint-Georges qu’il avait pris à l’armée) et se dit possesseur de secrets importants concernant le roi de France. Il loge fastueusement dans une auberge de Turin et séduit le duc de Savoie et le président général Truchi. « Je lui fis beaucoup de civilités pour le remercier du très grand service qu’il rendait au Roi, quoique je le croie un coquin, dit l’ambassadeur de France à Turin qui a dans sa poche l’ordre du roi pour l’emprisonner. Je le trouvai habillé tout de neuf de drap de Hollande, boutons couverts d’argent, bas de soie, belle garniture noire, baudriers de même étoffe et chapeau gris vigogne (laine de lama), la plume blanche dessus, grands bais (rubans rouges à extrémités noires) à bottes, bottes éperonnées, cravate neuve et manchettes de point de Gand, des gants à bordure or et argent, un manteau violet et galonné d’argent, une valise et quatre chemises dedans du même linge, une écharpe bleue, une épée d’argent et des pistolets et fourreaux, le tout neuf. » »Si l’on ne le traitait comme Son Altesse Royale (le duc de Savoie) le lui avait promis, il se poignarderait : il ne souciait point de sa vie, …ajoutant quelques jurements suivis jusqu’à l’emportement… J’ai prié M. de Saint -Mars de faire prendre garde à lui, car il doit avoir mauvais dessein, s’étant caché à Turin un couteau dans son sein et une jambette (canif) qu’il avait dans sa poche pour couper son…et un étui garni d’un poinçon et ciseaux…. Cet homme serait ici très (re)connu dans peu comme je crois, m’ayant parlé de Pignerol avec connaissance ; par le chemin hier je rencontrai le sieur Tite Yon. Ledit Yon m’a dit en son absence qu’il l’avait vu sergent au régiment de Grandée ou dans Monpezat , qu’il ne pouvait pas encore rappeler sa mémoire, qu’il y penserait et, à , son retour dans trois jours, découvrirait dans quelle compagnie il était ; qu’il croyait que c’était dans celle de Carrière ou Mourault. Le sieur de La Ponte, premier sergent de M. Saint –Mars… le connaît aussi pour s’être vus aux guerres de Guyenne, ou même, croit-il, à Pignerol il y a sept ou huit ans ; même il croit qu’il se faisait cousin d’un caporal de la compagnie de Saint- Mars qui n’y est plus. »Tout ceci fait songer à un complot pour libérer le masque de fer et au moine du couvent jacobin de Pignerol répondant au pseudonyme de Gonna, né à Turin et dont le père vivait à Lyon , un moment inquiété par Louis XIV en janvier 1672 .
Saint- Mars écrit de lui : « C’est un homme intéressé et rempli de vanité et de présomption, lequel il y a même à se ménager, en lui donnant et en lui promettant quelque emploi ; il ne serait pourtant bon de lui en donner, parce que je ne crois pas son esprit être très solide ; il va extrêmement vite et de plus un grand blasphémateur. » C’était, nous dit Iung, un Italien fort compromis dans l’affaire de la Marquise de Brinvilliers et de Sainte- Croix, qui, protégé par le banquier Pennautier, disparut à temps de la capitale : Pierre Castanieri, demi-frère de Romani, dit Saint-Georges, dit Saint-Pierre, dit surtout Lapierre. Il fut arrêté en juin 1673 à Paris, hôtel du Bouloy avec une cassette sous le nom d’abbé du Colombier, ce qui déclenche colère et intervention du pape, il est expédié à Lyon (« un religieux jacobin qui prétend avoir des secrets considérables »). Libéré, il est arrêté à nouveau le 4 novembre 1673, sous le nom cette fois de Castanieri à Turin, puis libéré le 31 décembre 1673 sur nouvelle intervention du banquier et de Colbert.
En 1674, il est arrêté à nouveau, à Saint-Omer, et on parle de lui comme d’un  « capucin » (franciscain) :   il est embastillé , puis envoyé à Pignerol où il devient définitivement le moine jacobin anonyme et est touché par la folie .Reste à envisager maintenant ce qui en fait un gros gibier qui intéresse la sécurité du roi . Cette fois, c’est le confesseur de la des Œillets, maîtresse du roi, dame de confiance de la Montespan et mère d’enfants du roi dont il s’agit .Prêtre de l église de Saint-Sauveur à Paris, il ne sera jamais interrogé alors qu’il était le témoin capital pour établir de la culpabilité de la Des Œillets et de la Montespan.
C’est chez lui que se réunissent les conjurés, la demoiselle étant la trésorière de la conjuration : on trouvera de grandes et étonnantes richesses à sa mort. « Un jour la demoiselle des Œillets, note La Reynie, avec un étranger qu’on disait être anglais (le moine jacobin), vinrent chez la Voisin, où Guibourg, après s’être revêtu d’une aube, prit une étole et le manipule ; avait pris des menstrues de la Des Œillets et de la semence de l’étranger dans le calice, du sang d’un enfant égorgé par la Voisin, des poudres, du sang de chauve-souris, de la farine pour donner du corps à la composition ; Guibourg dit une messe, commencée au Te igitur, qu’il appelle messe sèche, à laquelle il dit une conjuration où était le nom du roi . Le dessein était de faire un charme contre le roi ; ce malheureux (Guibourg) expliqua que c’était pour faire mourir le roi. Ce dessein était commun à Des œillets et au mylord. Des Œillets parlait avec emportement, faisait des plaintes contre le roi, témoigna être sortie de chez Mme de Montespan ; l’Anglais l’adoucissait. Ils prétendaient qu’en mettant de la composition sur les habits du roi, ou bien où il passerait, ce que Des Œillets prétendait faire aisément, ayant été à la cour, cela ferait mourir le roi en langueur. C’était un charme selon la méthode du livre de la Voisin. Des Œillets emporta cette abominable composition. L’Anglais était le galant de Des Œillets et promettait de l’épouser ».Des Œillets et le faux mylord promettent 100 000 écus et la sécurité en Angleterre. « Par d’autres pratiques, Des Œillets recherchait la même chose par la Voisin, par Lesage, et par l’Auteur (Dubreuil dont l’étude suit) et Vautier. » « C’était chez l’abbé Lapierre, écrit Petitfils dans L’affaire des poisons , Crimes et sorcellerie au temps du Roi Soleil, que, deux ou trois fois, « la fille de la Voisin avait entendu parler « du dessein à l’égard de Mlle de Fontanges. » Le dessein de faire entrer la Vertemart chez Mme de Montespan, qui se négociait chez ce même abbé, peut aussi être lié à ces affaires : pour faire bonne mesure, la Des Œillets aurait tout simplement envisagé de se débarrasser de son ancienne maîtresse », la Montespan.
Un lieu de rencontre avec l’abbé Guibourg pour la fabrication des poisons et l’alchimie était l’imposante ferme- manoir templière de Champagne (mot spécialisé en toponymie, dérivé du latin populaire campania, signifiant plaine,- curieusement donné à un valet de Fouquet dans sa prison), non loin de Montlhéry, car cette ferme appartenait à la Des Œillets, qui se faisait appeler la marquise de Vin , et à son père Jean de Vin. La ferme est située sur la commune de Savigny- sur- Orge.
Notons encore cette déclaration de la fille de la Voisin : « sa mère lui a rapporté (fait rapporter) diverses fois des poudres à Saint-Germain et à Clagny ( chez la Des Œillets), y a mené des prêtres, le plus souvent le prieur ( Guibourg) et un autre prêtre de Montmartre dont elle ne sait le nom (le moine jacobin , abbé de Saint-Eustache).Notre moine jacobin intervient encore sous le pseudonyme d’un gentilhomme de l’archevêque de Sens, de Saint-Maurice, qui lui avait promis 50 pistoles et un bénéfice de 2000 livres pour dire une série de trois messes noires aux intentions de Madame de Montespan. Le dénommé Leroy (probablement celui qui logeait la des œillets et son confesseur) était intervenu dans le même sens. L’abbé Guibourg dit la première de ces messes dans la chapelle du château de Villebouzin au Mesnil, près de Montlhéry où l’abbé Guibourg était au service des Montgomery. Un petit enfant, payé un écu, fut égorgé et offert au diable .Son cœur et ses entrailles , « à ce que lui dirent Leroy et le gentilhomme , servirent pour faire des poudres pour le roi et pour Madame de Montespan. »La messe « à rebours » fut dite sur le corps dénudé d’une femme (la Montespan ?). « Astaroth, Asmodée, princes de l’Amitié, je vous conjure d’accepter le sacrifice de cet enfant que je vous présente pour les choses que je vous demande… »

2 L’homme des complots en faveur de Fouquet : le masque de fer de Jung, Regnard, alias l’ abbé Dubreuil, dit Latour, pris pour le masque de fer par Formanoir en raison du fait qu’il est le plus ancien prisonnier de Pignerol ainsi que par Jung sous les pseudonymes de Louis Oldendorff , de chevalier des Harmoises ( le nom de Des Armoises , nom du sosie de Jeanne d’Arc, sinon de Jeanne elle-même puisque son compagnon Gilles de Rais l’avait reconnue et lui avait confié une arméemais t surtout anagramme de sosie et de Marsii), de chevalier de Kiffenbach, Daniel Ferrand de Bordeaux, Samson à Bâle, Martin, Louvigny, le valet Dubois, le prieur de Saint –Arnoult (en –Yvelines) , Sertreville , Titreville; l’Auteur ou le Grand Auteur, de son vrai nom Regnard, originaire de Bourgogne, amant de la Voisin, mort à Pignerol en janvier 1694 (sans que Laprade , qui a succédé à Saint- Mars à Pignerol , sache son nom ; il doit pour cela écrire à Saint- Mars à propos de son plus ancien prisonnier resté à Pignerol).
“ Il y a cent quarante –sept prisonniers à la Bastille et à Vincennes ; de ce nombre il n’y a pas un seul contre lequel il n’y ait des charges considérables pour empoisonnement ou pour commerce de poisons et des charges avec cela contre eux pour sacrilèges et impiétés. La plus grande partie de ces scélérats tombe dans le cas de l’impunité...Il y a encore une grande suite d’accusés considérables qui trouvent l’impunité dans leurs crimes... Latour, Vautier, sa femme, chargés par la Voisin et par d’autres d’être artistes (sic, sens de fabricants) et dangereux sur le fait des poisons... resteront , non seulement impunis, mais, par les considérations qui feront tenir leurs crimes secrets, leur procès ne pourra être achevé d’instruire”.
La Reynie
On mettra en avant leurs délits d’espionnage pour ne pas révéler leur participation à l’affaire des poisons;et homme cultivé et polyglotte (italien, allemand, espagnol ...) (on a conservé une lettre de lui citée par Iung, p.238, et le roi l’autorise à se faire acheter des livres, p. 327) fut arrêté , après avoir voulu monnayer ses connaissances des mouvements de troupes aux deux belligérants à la fois, à Bâle en 1676 et expédié à la prison de Pierre- Cise près de Lyon puis à Pignerol où il est mis avec le jacobin devenu fou, puis avec le valet de Lauzun et avec Matthioli, Il resta toujours à Pignerol où il devint fou et mourut en 1694 : Laprade ne sait pas son nom et doit d’informer auprès de Saint- Mars à Pignerol . Le surnom Latour rapporté par Formanoir se rapporte à lui et non au Masque de fer. Il se donnait comme espion et trahissait tout le monde. Il était fort avant dans le complot des alchimistes. Voici sa lettre à Louvois :
”Au donjon de Pignerol, ce 28 juillet 1676.
Suivant la permission que vous me donnez de vous écrire, je vous dirai que, bien que j’eusse véritablement désir de rendre quelque grand service à Sa Majesté, je tombe d’accord d’avoir fait deux fautes considérables, l’une de ne pas m’être venu jeter à la merci de Sa Majesté dès le commencement, et l’autre d’avoir voulu des bienfaits avant d’avoir rendu le service...
Mon véritable dessein était de ménager avec M. De Lagrange (l’intendant général de l’armée française ) le moyen de vous aller dire véritablement tout ce que je savais, qui vous eût été utile contre les ennemis, et en même temps de vous avertir des mauvais desseins de l’évêque d’Agde
( le frère de Fouquet), tant contre votre personne que contre le service du Roi; mais mon malheur ayant voulu que j’aie été arrêté, je me trouve réduit à vous mander sa conduite..., le moyen de pouvoir arrêter M. de Maupeou (agent de Fouquet et empoisonneur , interrogatoire de Lesage du 16 septembre 1680 à Vincennes : “Guibourg a fait des impiétés et des conjurations pour Mlle de La Chaulme, de Bourgogne, qui demeurait alors dans la rue des Bons- Enfants, chez M. de Maupeou, où les conjurations étaient pour faire mourir la mère de La Chaulme”), et d’avoir des preuves contre ledit évêque.
Après mon évasion de Bordeaux (voir ci-après comment au sortir de la Bastille il se rend à Bordeaux chez un complice sous le pseudonyme de Daniel Ferrand, Dubreuil passant prudemment sous silence son séjour avec la Voisin à Paris, sauf en ce qui concerne sa dénonciation de l’empoisonneur de Maupeou), je me rendis à Villefranche (-en –Rouergue, où résidait le frère de Fouquet, l’évêque d’Agde) pour obtenir de l’évêque d’Agde quelques secours afin de pousser mon chemin. D’abord je lui déguisai le véritable sujet de ma disgrâce, feignant une affaire, mais de lui-même s’étant mis à parler de l’état des affaires de la cour, je lui ouvris que je me trouvais embarrassé, quoique bien intentionné. Enfin la conclusion fut qu’il me fit voir qu’il l’était peu (bien intentionné), en me montrant de fâcheuses nouvelles dont il se réjouissait, disant que si le Roi pouvait être bien battu par les ennemis, que tout en irait mieux...Il me dit que vous (Louvois) étiez le plus cruel ennemi de sa famille et de lui en particulier; qu’étant son allié, je devais plutôt songer à le servir dans le dessein qu’il avait de vous perdre, me disant souvent que si vous étiez mort tout rentrerait en faveur, et puis, quelque autre fois, qu’il donnerait bien de l’argent pour que vous fussiez en l’autre monde, me faisant pressentir qu’il eût bien voulu trouver des gens pour un si mauvais coup que de vous assassiner...; de tâcher à engager les Espagnols à la liberté de son frère (M; Fouquet), de pratiquer auprès du roi d’Angleterre la personne que je jugerais la plus capable de le faire agir, avec promesse de vingt mille écus de récompense à cette personne qui obtiendrait la liberté de sondit frère, à envoyer à M. de Maupeou des mémoires pour faire un manifeste...
J’espère, Monseigneur, à la même charité que vous apportez à ne pas me perdre entièrement, que vous voudrez bien recevoir la supplication que je vous fais de me faire changer de lieu, car je suis ici avec un homme qui est fou au dernier point (le moine jacobin) et fort incommodé, et qui a si fort infecté la chambre qu’à peine peut- on y respirer. On sait qu’il y a huit jours que je ne bois ni ne mange, et que je ne fais que languir en ce misérable lieu.”
Le 21 février 1677, Louvois écrit au geôlier : “Pourvu que (le moine jacobin fou) soit autant en sûreté avec le valet de M. de Lauzun qu’il l’est avec le sieur Dubreuil, le Roi s’en remet à vous de le changer de prison (cachot) ou, en cas que vous jugiez à propos de le laisser avec ledit sieur Dubreuil, de le faire attacher de manière qu’il ne puisse lui faire du mal. Mais souvenez- vous de prendre garde au sieur Dubreuil, qui est un des plus artificieux fripons qui se puisse rencontrer.” L’infortuné sera mis dans le cachot du valet de Lauzun, puis en 1679 aura Mattioli pour compagnon, mais à l’époque il aura perdu sa santé mentale.
Cet amant de la Voisin était natif d’Autun en Bourgogne .Ce “péroreur d’une quarantaine d’années, assez froid, d’une “bonne taille, ayant les épaules un peu hautes, assez épais et avec des cheveux noirs” selon Petitfils, avait fait croire à la Voisin qu’il était prince italien et le plus savant homme du monde ; comme le remarquait La Reynie, la profession de cet étrange et sentencieux personnage qui affirmait avoir “la connaissance des génies”résistait “à l’opinion que plusieurs accusés ont essayé de donner de son esprit et de sa conduite”: il était tout bonnement tailleur de pierre! Hébergé par le peintre et chimiste Denis Jean Vautier (il y travaille à des distillations pour le compte de la Voisin), puis par la Voisin, ce rustre prétentieux, continue Petitfils, n’avait en fait aucune demeure fixe à Paris. Comme tous les chercheurs de pierre philosophale, il fuyait la police.”Après ce portait il revient à chacun de juger si la culture dont témoigne la lettre citée, ainsi que l’autorisation du roi de lui faire donner des livres à sa demande, est compatible avec ce portrait à charge de Petitfils et avec sa formule : “un rustre prétentieux”, comme avec la profession de tailleur de pierre. Pour nous, nous croyons qu’il a été réellement abbé et qu’il s’agit d’un empoisonneur, agent de Fouquet et comploteur contre le roi qui voyant tout perdu a trahi sa cause.
Craignant à juste titre d’être arrêté à Paris comme complice du banquier Pennautier, de Sainte Croix et de la marquise de Brinvilliers, pour qui il travaille, il passe en 1673 aux Pays-bas ,en Allemagne à Allendorff et réside à Bruxelles sous le nom de Louis de Ollendorff, se disant lorrain, de Nimègue, se présentant comme un ancien capitaine de cavalerie de Lorraine, qui “menait fort mauvaise vie, grandes dépenses et n’avait rien, qu’il avait enlevé la femme d’un colonel de Bohême”. Le nom de Des Armoises , nom du sosie de Jeanne d’Arc, sinon de Jeanne elle-même puisque son compagnon Gilles de Rais l’avait reconnue et lui avait confie une armée , mais surtout anagramme de sosie et de Marsii . Les comploteurs raffolaient des anagrammes, tel Ollendorf, anagramme de F(idus ou fidèle à,ou plutôt initiale de Fouquet) LORRENE (le chevalier de Lorraine) (et) ORLE( a)N(s) (le frère du roi).
Son banquier est à Amsterdam van Groët pour le compte de l’Espagne et de M. de Lisola. Son coffre à Bruxelles est pris. Le roi et Louvois mettent tout en oeuvre pour le capturer mais ils n’ont pas son signalement. Il change souvent de pseudonyme mais il se fait arrêter à Péronne sous le nom de Daniel Ferrand, originaire de Bordeaux. Il est conduit à la Bastille le 27 mars 1673, puis est libéré le 2 janvier 1674 faute d’avoir été reconnu et identifié. Il est remis entre les mains du prévot Legrain à sa sortie de la Bastille pour “le conduire en sûreté, jusqu’à dix lieues de ma bonne ville de Paris, du côté de la ville de Bordeaux”. Il se réfugie chez un amant de la Voisin, le vicomte de Cousserans, qui hébergeait dans son château du Bordelais divers empoisonneurs (comme l’abbé Mariette en 1668), mais il se fait arrêter à nouveau, cette fois pour l’affaire des poisons pour laquelle il ne sera jamais jugé étant donné qu’il peut compromettre la Montespan et surtout la Des Oeillets, réussit à s’évader et offre ses services à la Voisin dont il devient l’amant en titre.
La Voisin resta environ un an avec lui ; lui et son ami Vautier, qui importait des momies pour les broyer et les utiliser comme pigments, se lancèrent, nous apprend Petitfils, dans la fabrication de poisons violents.”Il mourut beaucoup de gens au faubourg Saint-Laurent, raconte Lesage; les poisons auxquels on travaillait en ce temps-là chez Vautier furent cause de la mortalité que l’on attribuait néanmoins à la puanteur des égouts; mais il y avait bien des gens qui disaient que les méchantes odeurs qu’on sentait venaient de chez Vautier.”Les conjurés distillaient notamment de petits serpents appelés norevers qu’ils capturaient du côté de Ménilmontant.”
Au printemps de 1676, Latour (il emprunte vraisemblablement ce pseudonyme au Latour du complot normand) quitte brusquement la Voisin, emportant toutes ses économies, soit douze à quinze mille livres  pour chercher à nouveau fortune dans le renseignement à Bâle, et ceci pour son malheur.
D’après les déclarations de deux bergers jetteurs de sorts, Debray et Moreau, ce dernier originaire de Moisy près d’Ozouer-le-Marché et ayant connu l’infortuné de La Moisière qui fut exécuté en même temps que le marquis protestant de Courboyer, un homme de condition ,parent de Fouquet, qui se faisait appeler chevalier de La Brosse .était venu les voir vers 1674, accompagné de son valet Dubois (l’abbé Latour?) pour leur demander de faire mourir Colbert et Louis XIV par poison et sortilège, moyennant bonne récompense; Avec Guibourg et un prêtre satanique de ses disciples, connu sous le nom de prieur de Saint-Arnoult-en-Yvelines (l’abbé Latour), on récite mainte conjuration sacrilège, mais en vain. Si bien qu’on s’adresse à un autre rebouteux dans un cabaret de Choisel, près de Rambouillet, un nommé Barenton, qui remet à ce parent de Fouquet une fiole contenant de l’arsenic, du sublimé et de l’extrait de crapaud destiné au roi.
Selon Guibourg dans son interrogatoire du 24 août 1681, le chevalier de La Brosse « avait beaucoup de ressentiment contre la personne du roi de ce qu’il avait fait emprisonner M. Fouquet. Pinon du Martroy (seigneur de Vitry-sur-Seine, cousin de Fouquet ruiné lors du procès de 1661 contre Fouquet) lui dit qu’il avait quelque accès à la Bouche (le service chargé des repas du roi) et qu’il y entrait librement.” Qui était ce chevalier de La Brosse ? Soit, on l’a vu , Pinon du Martroy, soit le marquis de Termes, neveu de la Montespan. Un auditeur de la cour des comptes, Maillard, fut accusé d’avoir empoisonné le mari de sa maîtresse, veuve d’un procureur au parlement, et d’être entré à cette fin en relation avec Sainte-Croix, l’amant de la marquise de Brinvilliers. Il déclara qu’un de ses anciens jardiniers avait fourni le poison à sa maîtresse et avoir remis 4000 livres à Sainte-Croix via Dubreuil contre le roi. Il eut la tête tranchée “pour avoir su, connu et non révélé les détestables projets formés contre la personne du roi”.

3 Fouquet et son valet Larivière,compagnon du Masque de fer (emprisonné vers 1673-1674 , libéré à Pignerol en 1684).
Le roi demanda personnellement à Fouquet ce que son valet Larivière savait de son collègue Eustache Dauger sous prétexte qu‘il songeait à le libérer: la réponse de Fouquet sur les connaissances du secret de Dauger fut-elle négative et le roi y a-t-il donné suite? C’est fort possible. Fouquet n’ignorait rien du secret du frère de Louis XIV et celui-ci, en donnant à Fouquet pour valet le masque de fer , aurait-il voulu l'humilier en le faisant servir par celui dont il voulait faire le souverain de la France?
Ainsi Madame Bachimont était cousine du surintendant : sa mère était née Fouquet de Chalain, tandis que son parent Jacques Pinon du Martroy, seigneur de Vitry et de Villejuif, ami de Sainte-Croix, fit dire par l’abbé Guibourg des conjurations pour faire mourir le roi. C’est à lui que le berger Moreau, de La Ferté, près de Chevreuse, avait promis la mort du roi et la libération du surintendant. De même le prieur de Saint- Arnoult, “aussi méchant que Guibourg”, pseudonyme de Lapierre, confesseur de Melle Des Oeilllets, prêtre de l’église Saint -Sauveur à Paris, le frère de Romani, et que nous avons retrouvé sous le nom de Dubreuil avec le Masque de fer fut mêlé à cette conspîration dite de Moreau visant à tuer le roi et à libérer Fouquet. Le château de la Diablesse, le nom de Marcilly (sur- Maulne) dont des parents de Fouquet étaient propriétaires et les liens directs et familiaux de Fouquet avec les empoisonneurs, citons encore l’évêque d’Agde, frère de Fouquet qui complotait, nous laissent songeurs. Le chimiste Glaser, selon Sainte-Croix et selon Madame de Brinvilliers (Ravaisson, Archives de la Bastille, tome IX, p. 244, et 250), avait été envoyé vers 1755 en Italie par le surintendant Fouquet pour en rapporter des végétaux très toxiques qu’il fallait cueillir en mars et qui étaient destinés à “l’accomplissement d’un grand dessein.” On devine lequel : l’empoisonnement du roi au profit de son frère aîné. La devise de Fouquet, qui intrigua Louis XIV et qu’il se fit traduire, était, rappelons-le, Quo non ascendam? Jusqu’où ne monterai- je pas? L’écureuil ou fouquet en ancien français qui figurait sur les armes du surintendant n’a pas dû suffire à l’innocenter.
On a beaucoup glosé sur le mot "drogues», ces drogues qui étonnèrent le ministre lorsque ses geôliers les trouvèrent dans le cachot de Fouquet, cachées dans les poches du défunt, alors que tous ses papiers, bien classés, avaient été emportés par son fils, -contenant peut-être des mentions du secret du masque. Mais que signifie le mot drogue au XVIIe siècle? Poison? Certes la langue du XVIIe siècle(lit pour cassette, par exemple) est difficile pour nous et les drogues désignées ici peuvent très bien être le matériel chimique nécessaire pour fabriquer de l’encre ou du papier , de même que l’expression « mes deux merles » employée par Saint- Mars pour désigner Dauger et Dubreuil doit s’entendre comme mes deux prisonniers solitaires dans leur cage, conformément à l’étymologie latine (merula signifiant solitaire : merula, quod mera, id est, sola volitat, Varron 5, 76). En effet certaines espèces de merles ont des vols solitaires et non en bandes dans le Sud et ce sont de celles à qui l’on apprend le plus facilement à parler (Cf. Iung, p. 340 : “Dans le Languedoc, à Marseille, à Nice, le merle bleu, le merle de roche sont appelés passa solitaris [passereau solitaire], solitaris, soulitaria “et Barnes, même explication).
Notons enfin que le ministre avait également demandé à son geôlier Saint- Mars, le 16 avril 1684, alors que celui-ci était à Exiles tandis que le valet était resté à Pignerol: "Mandez-moi aussi ce que vous savez de la naissance du nommé la Rivière et de l’aventure (ce qui advient par cas fortuit, par hasard) par laquelle il fut mis au service de feu M. Fouquet" (par qui? Nouveau passif impersonnel révélateur : ce n'est pas Larivière qui l'a demandé). Précisément on ignore tout de Larivière, de son nom véritable comme de la date de sa prise de service auprès de Fouquet. Larivière peut en effet dissimuler un dénommé Duchêne, qui avait été laquais chez M. d’Aubray (le marquis de Brinvilliers), chez M. Bontemps, puis chez « Madame de Montespan qui l’affectionne beaucoup », «  qui l’a fait officier du gobelet et qui ne laisse pas de servir toujours chez Mme de Montespan », selon La Reynie. C’est par lui, selon l’abbé Guibourg (Petitfils, P. 229) que Pinon du Martroy, dit le chevalier de La Brosse,cousin de Fouquet et financier lui-même, “avait quelque accès à la Bouche (le service chargé des repas du roi) et qu’il y entrait librement” en vue de l’empoisonner. Il fut soupçonné sans preuves d’empoisonnement du marquis et du roi, de complicité avec la marquise. Louis XIV, le sachant capable de compromettre sa maîtresse Madame de Montespan (il ne voulut faire juger personne qui pût révéler des faits gênants pour ses maîtresses, tant la Montespan que la Des Oeillets), ayant besoin d’un valet pour Fouquet, lui fit donner 600 livres de salaire. Il ne connaissait pas le secret du masque, si bien qu”on peut qu'on peut penser qu’un temps suffisant après la mort de Fouquet Louis XIV le libéra. Tel est le sens de la demande de Louvois du 16 avril 1684.


De quelques conséquences:
1°La mort trop rapide de Henriette d'Angleterre
La mort de Madame, à son retour d'Angleterre , surprit la cour et le roi qui expédia son ministre s'informer, sans résultats apparents, à Pignerol auprès du masque .Qu'en penser?
L’autopsie conclut au choléra, ce qui laisse rêveur, d’autant qu’on trouva un trou dans l’estomac et qu’on le décréta l’œuvre du chirurgien, bien maladroit et complaisant…Les plus sérieux des partisans de la mort naturelle invoquent, comme le Professeur Bernard, la porphyrie héréditaire , ce qui est possible.
Mais le demi- frère de ce dernier, le duc de Buckingham, protestant et ministre d'Etat, ignorant sans doute que la trahison venait de son monarque, attribua la disparition du fils naturel du duc de Buckingham à cette femme, qui ne l'aimait pas et qu'il accusait de l'avoir exclu de la négociation secrète du traité de Douvres comme de la conversion du roi. Il savait tous les secrets du traité de Douvres par les confidences de l'ambassadeur à l'abbé Prégiani (Veyras) , qui les répétait fidèlement à son demi-frère. Il a pu légitimement désirer se venger et empoisonner la coupable Henriette au cours de son voyage en Angleterre. Il a manifesté, à la nouvelle de cette mort, des excès de douleur surprenants pour un homme qui n'aimait pas du tout cette princesse. De plus, dans notre internationale des poisons, dans cette cabale des alchimistes, nous avons le chevalier de Lorraine , mignon du duc d’Orléans exilé en Italie , et un autre giton du prince, le marquis d’Effiat (pas celui de la conjuration, pas Cinq-Mars), qui était sur place pour administrer la dose et que Saint-Simon accuse en ces termes ; “ Bernard, p135.Je ne puis finir sur ce prince sans raconter une anecdote qui a été sue de bien peu de gens sur la mort de Madame que personne n’a douté qui n’eût été empoisonnée et même grossièrement. Ses galanteries donnaient de la jalousie à Monsieur; le goût opposé de Monsieur indignait Madame’; les favoris qu’elle haïssait semaient tant qu’ils pouvaient la division entre eux pour pouvoir disposer de Monsieur tout à leur aise. Le Chevalier de Lorraine, dans le fort de sa jeunesse et de ses agréments, étant né en 1643, possédait Monsieur avec empire et le faisait sentir à Madame, comme à toute la maison. Madame, qui n’avait qu’un an de moins que lui et qui était charmante, ne pouvait à plus d’un titre souffrir cette domination: elle était au comble de la faveur et de la considération auprès du roi dont elle obtint l’exil du Chevalier de Lorraine. A cette nouvelle, Monsieur s’évanouit puis fondit en larmes et s’alla jeter aux pieds du Roi pour faire révoquer un ordre qui le mettait au désespoir. Il ne put y réussir.
D’Effiat, homme d’un esprit hardi, premier écuyer de Monsieur, et le Comte de Beuvron, homme liant et doux, mais qui voulait figurer chez Monsieur dont il était capitaine des gardes, et surtout tirer de l’argent pour se faire riche, en cadet de Normandie fort pauvre, étaient étroitement liés avec le chevalier de Lorraine dont l’absence nuisait fort à leur affaire et leur faisait appréhender que quelque mignon ne prît sa place duquel ils ne s’accorderaient pas si bien. Pas uin des reois n’espérait la fin de cet exil à la faveur où ils voyaient Madame qui commençait même à entrer dans les affaires et à qui le roi venait de faire faire un voyage mystérieux en Angleterre où elle avait parfaitement réussi et en venait de revenir plus triomphante que jamais. Elle était de juin 1644 et d”une très bonne santé qui achevait de leur faire perdre de vue le retour du Chevalier de Lorraine. Celui-ci était allé promener son dépit en Italie et à Rome. Je ne sais lequel des trois y pensa le premier, mais le chevalier de Lorraine envoya à ses deux amis un poison sûr et prompt par un exprès qui ne savait peut-être pas lui-même ce qu’il portait.
Madame était à Saint-Cloud, qui, pour se rafraîchir, prenait depuis quelque temps, sur les sept heures du soir, un verre d’eau de chicorée. Un garçon de chambre avait soin de la faire; il la mettait dans une armoire d’une des antichambres de Madame avec son verre etc. Cette eau de chicorée était dans un pot de porcelaine ou de faïence et il y avait toujours auprès d’autre eau commune au cas que Madame trouvât celle de chicorée trop amère, pour la mêler. Cette antichambre était le passage public pour aller chez Madame où il ne se trouvait jamais personne parce qu’il y en avait plusieurs. Le marquis d’Effiat avait épié tout cela. Le 29 juin 1670, passant par cette antichambre, il trouva le moment qu’il cherchait. Personne dedans et il avait remarqué qu’il n’était suivi de personne qui allât aussi chez Madame. Il se détourne, va à l’armoire, l’ouvre, jette son boucan, puis entendant quelqu’un s’arme de l’autre pot à eau commune et comme il le remettait, le garçon de la chambre, qui avait soin de cette eau de chicorée, s’écrie, court à lui et lui demande brusquement ce qu’il va faire à cette armoire. D’Effiat, sans s’embarrasser le moins du monde, lui dit qu’il lui demande pardon, mais qu’il crevait de soif et que sachant qu’il y avait de l’eau là-dedans, lui montrant le pot d’eau commune, il n’a pas résisté d’en aller boire. Le garçon grommelait toujours et l’autre , toujours l’apaisant et s’excusant, entre chez Madame et va causer comme les autres courtisans sans la plus légère émotion.
Ce qui suivit, une heure après, n’est pas de mon sujet et n’a que fait trop de bruit sur toute l’Europe.
Madame étant morte, le lendemain matin 30 juin à trois heures, le Roi fut pénétré de la plus grande douleur.”
2°La révocation de l'Edit de Nantes.
Louis XIV dut se souvenir amèrement de son frère qui contestait sa légitimité et de son rôle dans la conjuration de Roux et son ressentiment peut faire partie des mobiles qui l'amenèrent à prendre cette funeste décision.
Bref, le secret du masque de fer dénoncé par Voltaire révèle les impostures du monarque de droit divin, et le secret des complots malheureux tentés par Roux de Marsilly (on devine aisément la nature des « propos épouvantables » tenus par lui contre le roi   dont parle l‘ambassadeur, et qu’il se refuse à répéter) , ou par Louis de Rohan , voire même la menace représentée par Fouquet aux yeux du tyran aux lettres de cachet arbitraires, despote qui dissimulait le frère aîné de plus illustre extraction que sa mère lui avait donné. La prise de la Bastille en sera le lointain aboutissement.


Sur Madamede La Bretesche :
Madame Barbe de Labretesche née en 1635, fut mariée à Louis Danré de Blangy (1635-1722) dont elle eut un fils, Charles Danré de Blangy, qui sera avocat au parlement de Paris.Elle finira ses jours le 15 décembre 1725 à Epernay dans la Marne, à l’abbaye d’Argensol dont elle était abbesse. On a confondu, volontairement ou non, le nom de Blangy avec le nom de Denis Poculot de Blessis en la disant mariée à ce dernier. Cette famille de Labretesche est originaire de Soissons, ce qui explique peut-être sa proximité avec Olympe Mancini, comtesse de Soissons, née en 1635 comme elle , nièce du cardinal Mazarin qui devait par son oncle être au courant de l’existence du Masque de Fer.
En 1680 elle fuit la France et passe de Flandre en Espagne, puis Londres et Bruxelles où elle meurt en 1708. Coîncidence : Madame de La Bretesche aura parmi ses juges Augustin Robert Pomereux de Labretesche (de Saint-Non). Elle vendra à Soissons son titre à un avocat nommé Renaud dont la famille ira à Saint-Domingue.
Madame est dite dame de La Bretesche (et non demoiselle) mais non de très grande noblesse (on eût dit en ce cas madame).On trouve trace de cette famille dans les nobiliaires du Valois au XVIIe siècle ( Senlis, Crépy-en-Valois), présents dans l’Oise et dans l’Aisne et indiqués comme de source bretonne,tirant probablement leur nom d’une bretèche en bois(détruite aujourd’hui) , de la commune de Nivillac dont la forêt porte encore le nom de forêt de la Bretesche. mais qui n”a rien à voir avec le château de la Bretesche voisin de Missillac) . Au XVIIe siècle c’étaient des verdiers, des gardiens de forêts pour le compte des nobles seigneurs de La Roche-Bernard. Les guerres de religion et leur conversion au protestantisme à la suite de leurs protecteurs les amenèrent en Valois.
Voici ce que La Reynie dit de Madame de La Bretesche (p.176, Petitfils): “Etoffes, gants (empoisonnés).-Il faut nécessairement que ce que la fille de la Voisin a dit du dessein d’empoisonner madame de Fontanges [maîtresse de Louis XIV] soit vrai et qu’on en ait parlé, parce que Romani convient du moyen d’avoir cherché une entrée dans la maison de Madame de Fontanges, d’avoir voulu passer pour marchand de soie étranger.
(Romani convient d’avoir) pensé et parlé comment on pourrait avoir des étoffes:
(et Romani convient d’avoir )eu commerce sur cela (l’empoisonnement de madame de Fontanges) avec la dame de la Bretesche, chargée par tout le procès (accusée par tous les prévenus) du commerce des poisons et suspecte par ce qu’en dit lui-même Blessis;
(Romani convient d’avoir) eu commerce avec la Dumesnil (servante chez Madeleine Chappelain, l’épouse d’un contrôleur général des domaines et qui était aussi trésorier des offrandes et aumônes du roi, servante qui incita la Filastre à entrer au service de Mlle de Fontanges) qui a une véritable entrée chez madame de Fontanges;
ce que Bertrand dit confirme id.(la même chose), car (il) demeure d’accord du fait (indiqué par la fille de la Voisin, savoir la tentative d’empoisonnement de madame de Fontanges),-la fille de la Voisin ne le peut avoir deviné.
Nota: ce qui mérite d’être observé et suivi, Romani, en ce même temps (était) en commerce avec la Desoeillets “. La Des Oeillets était la suivante de Mme de Montespan, mais surtout une ambitieuse maîtresse du roi, instigatrice de l’empoisonnement de Madame de Fontanges. Petitfils raconte ainsi l’affaire (p.177):” Romani était alors sans travail. Une de ses amies, Mme de La Bretesche, lui avait cherché une place dans les fermes du roi (recouvrement d’impôts) ou auprès de Mlle de Fontanges qu’elle connaissait par relations. Mais, encore une fois, “cela s’était dit entre mille autres choses”.Dans son lexique, Petitfils ajoute ces précisions :”La Bretesche. Empoisonneuse. Amie de la Voisin, de la demoiselle de La Grange , qui était veuve d’un receveur des gabelles (droits de douanes) et des tailles d’Anjou, née en 1640 à Doué, complice du curé Léonard Nail, arrêtée en 1677, brûlée vive en 1679, de Romani et de Bertrand (apprenti marchand de soie du Dauphiné), elle se proposait de faciliter leurs rencontres avec Mlle de Fontanges ,qu’elle connaissait..”Denis Poculot, sieur de Blessis, était né à Montbrison près de Lyon. Cet ancien lieutenant d’artillerie (p.96), amant de la Voisin, alchimiste, prétendait avoir trouvé le moyen de faire de l’argent à partir du cuivre et excellait dans la préparation de parfums mortels. Ami de Vautier, il intéressa le neveu de M. de Montespan, le marquis de Termes, Roger de Pardailhan de Gondrin , qui, ruiné depuis le procès de Fouquet, vivait discrètement dans son château de Fontenay-sous-Bois (Brie); il y enleva Blessis en 1678 et le retint prisonnier jusqu’à ce qu’avec le peintre Vautier il pût transmuter devant lui le plomb en or. En 1680 il participe à l’abbaye de Chelles à une tentative d’empoisonnement de Melle de Fontanges qui alarme le roi , probablement à l’inspiration de sa belle-soeur, la marquise de Montespan.
Deux autres amis de Madame de La Bretesche méritent qu’on s’y attache.
D’abord, le chevalier de Saint-Renant, astrologue et empoisonneur breton, amant de la Filastre en rapport avec la Chappelain .
Ensuite la vicomtesse de Polignac, troisième épouse de Louis Armand de Polignac, gouverneur de Puy-en-Velay (mort en 1692),savoir Jacqueline de Beauvoir de Grimoard du Roure, accusée de tentative d’empoisonnement contre Melle de Lavallière. En 1679, prévenue à temps et plus chanceuse que Madame de La Bretesche , elle échappa de peu aux soldats venus l’arrêter dans son château d’Auvergne et ne mourut qu’en 1721, à 84 ans. Sa parente , Claude Marie de Gast d’Artigny, comtesse du Roure pour avoir épousé en 1666 Louis Pierre Scipion de Grimoard , comte du Roure, lieutenant général en Languedoc, était fille d’honneur de Henriette d’Angleterre et la Voisin l’accusa d’avoir tenté d’empoisonner Melle de La Vallière, mais on peut songer aussi à l’empoisonnement de Henriette d’Angleterre. Elle fut exilée en Languedoc par le roi. Selon Lesage, ”la comtesse du Roure, la vicomtesse de Polignac cherchaient à faire des pactes pour détrôner Melle de La Vallière hors d’auprès du roi”.

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